La pause estivale du blog aura été plus longue que prévue.
- J’attendais la publication de ma Tribune dans Le Monde pour faire une rentrée en « fanfare » ; elle est parue lundi 14 octobre 2024. Lire ci-dessous.
- Une Tribune comme celle que me permet de publier Le Monde et dont je le remercie est de diffuser mes connaissances en gestion des risques avec pour objectif de faire entendre mon expertise appuyée sur mes travaux de recherche sur un sujet d’actualité.
Vous retrouverez :
- Toujours la même structuration pour analyser un risque : le nommer, le décrire, identifier sa Criticité à partir de l’identification des causes (Probabilité) et des conséquences (Impact).
- Toujours la proposition d’un Plan d’Action (ici pour baisser la Probabilité) : la mise en place d’une Fonction Risk Manager managériale (voir les 4 profils de Risk Manager mis en évidence dans mon dernier article de recherche « La Fonction Risk Manager dans les entreprises françaises non financières : ses rôles sur la période de son émergence », Revue Management et Avenir, n°134, avril, p.61-82, 2023. )
- Toujours la grille de lecture de la Fonction Risk Manager en termes de légitimité et de création de valeur.
Pour en savoir plus :
- Sur le risque, la gestion des risques et le métier de risk-manager : voir l’ouvrage que j’ai co-écrit avec Nicolas Dufour. « Risk Management. Organisation et positionnement de la Fonction Risk Manager. Méthodes et Gestion des risques. » Editions Gereso. 293 pages, 18,99 à 27 euros.
- Sur mes travaux de recherche : voir rubrique du blog Actualités travaux de recherche.
- Sur d’autres « affaires » dans le secteur alimentaire : voir Lactalis sur le blog.
A venir sur le blog dans 15 jours : des articles détaillant les faits des « affaires » Nestlé.
Le Monde (site web)
Idees, lundi 14 octobre 2024 – 06:30 UTC +0200 1043 mots
De trop nombreuses « affaires devraient conduire Nestlé à s’intéresser à sa gestion du risque éthique »
Caroline Aubry
Contamination des pizzas Buitoni, traitement des eaux Vittel, Contrex, Hépar et Perrier, le nouveau patron du groupe Nestlé doit mettre en place une nouvelle stratégie de gestion des risques, coûteux pour l’entreprise, estime Caroline Aubry, chercheuse en sciences de gestion, dans une tribune au « Monde ».
La rentrée de Laurent Freixe, le nouveau PDG du géant de l’agroalimentaire Nestlé, est chargée : un environnement économique menaçant, une croissance en berne et… une image fragilisée, voire dégradée. La stratégie annoncée d’un « retour aux fondamentaux » ne suffira pas à restaurer la croissance. Elle doit s’accompagner d’une réflexion sur le risque éthique, actuellement trop fréquent et coûteux pour l’entreprise.
L’éthique est la mise en pratique quotidienne des valeurs de l’entreprise et plus largement le respect des valeurs humaines et sociétales. Elle se décline en deux dimensions : d’une part le développement durable – le risque éthique est alors proche du risque environnemental –, d’autre part la gouvernance – il s’agit alors du respect des engagements de transparence, de prise en compte des parties prenantes et d’ouverture aux besoins de l’environnement global (concurrentiel, réglementaire, sociétal…) dans lequel opère l’organisation.
La contribution au déficit de la nappe phréatique de la commune de Vittel (Vosges), qui se retrouve à importer de l’eau potable des centres voisins, relève du risque éthique dans sa première dimension : elle porte atteinte à l’environnement.
Réaction tardive
La contamination des pizzas Buitoni est un risque opérationnel, mais aussi éthique, cette fois dans sa dimension gouvernance : la réaction de l’entreprise a été tardive ; la direction générale du groupe s’est cachée derrière la marque Buitoni ; d’abord absente, sa communication lors des cas de contamination grave et du décès de deux enfants a ensuite été minimaliste ; les parties prenantes n’ont pas été prises en compte.
Le non-respect de la réglementation européenne interdisant la désinfection des eaux minérales, l’aveu de traitements tels que les ultraviolets et les filtres au charbon actif, la mise en doute de la qualité sanitaire des sources Vittel, Contrex, Hépar et Perrier (bactéries, matières fécales, pesticides…) par l’Agence nationale de sécurité sanitaire et l’Agence régionale de santé Occitanie relèvent de cette même dimension ; il s’agit dans les deux cas de fraudes avérées.
Les « affaires » sont décidément trop fréquentes chez Nestlé : Buitoni et les pizzas contaminées (2022, 2024), la contribution au déficit de la nappe phréatique (2024), les traitements interdits (2024), la contamination de sources d’eau minérale naturelle en France (2024).
L’impact économique des trois dernières est fort. Le groupe a fermé deux puits dans les Vosges qui alimentaient Hépar, dont la production est de ce fait réduite de moitié. Il a également fermé plusieurs des huit puits dans le Gard utilisés pour Perrier ; la production de Perrier, qui tournait autour de 1,7 milliard de bouteilles par an, est tombée à 1,2 milliard depuis l’arrêt du recours aux solutions techniques de filtrage illégales ; Perrier a vu sa part du marché des eaux gazeuses tomber de 45 % à 40 % en 2023. Pour se mettre en conformité, le groupe a investi une cinquantaine de millions d’euros, réalisé dix-huit mois de travaux sur deux sites et a lancé un plan social sur son site des Vosges.
Chute du cours de Bourse
L’impact sur l’image, facteur-clé de la capitalisation boursière, est fort, contribuant à la chute de 20 % du cours de Bourse sur les cinq dernières années.
En revanche, l’impact juridique est modéré. Nestlé a été condamné au paiement d’une amende de 2 millions d’euros dans un délai de trois mois après avoir conclu une convention judiciaire d’intérêt public avec le parquet d’Epinal, et à l’obligation de restauration environnementale de deux cours d’eau affluents de la Meuse et des zones humides sur le territoire de Vittel et de Contrexeville. L’entreprise chiffre cette restauration environnementale à 1,1 million d’euros.
Cet impact aurait pu être beaucoup plus fort. Tous les amplificateurs de risque étaient présents : intervention du régulateur européen, fort écho dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux, saisie des associations de consommateurs.
Mais l’absence de préjudice avéré à la santé publique, la prudence du gouvernement soucieux de préserver deux mille emplois et embarrassé par les négociations menées il y a trois ans avec le groupe autour d’un plan d’actions sous contrôle des autorités sanitaires, une gestion de crise meilleure (aveu et mea-culpa des dirigeants) que lors du scandale Buitoni lui ont permis d’éviter une catastrophe économique, un scandale et de lourdes sanctions. Mais le groupe n’aura peut-être pas la même chance avec la mise en examen en juillet de Nestlé France et de sa filiale fabriquant les pizzas Buitoni contaminées.
Fonction incontournable
Ces affaires devraient conduire Nestlé à s’intéresser à sa gestion des risques, pour amener à se poser la question du risque éthique, sous-estimé, voire négligé. L’arrivée d’un nouveau patron doit être une occasion de faire évoluer cette gestion vers une fonction de type managérial (risk manager), dont le rôle, doté d’une autorité forte, serait de centraliser des informations au service de la direction générale.
Celle-ci doit s’impliquer dans la gestion des risques et le soutien à la fonction qui l’incarne : elle doit reconnaître leur nature stratégique, communiquer en interne auprès de tous les acteurs sur ses sujets, fixer au risk manager et à son équipe des objectifs affichés de gouvernance cohérents avec son rôle. Rendue plus visible, cette fonction doit être prise en compte par les parties prenantes et devient incontournable. Peut alors se créer une culture du risque qui se traduit par une pratique commune et cohérente avec les valeurs affichées.
Telle pourrait être la trajectoire du groupe Nestlé pour rétablir la confiance avec les parties prenantes, mener à bien son « retour aux fondamentaux », et façonner ainsi un avenir pérenne.
Caroline Aubry est maîtresse de conférences en sciences de gestion au Laboratoire de gestion et des transformations organisationnelles (LGTO, université Toulouse-III-Paul-Sabatier) et coautrice, avec Nicolas Dufour, de Risk Management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques (Gereso, 2022).
2 réflexions sur « De trop nombreuses « affaires devraient conduire Nestlé à s’intéresser à sa gestion du risque éthique » »