Archives pour la catégorie responsabilité pénale des dirigeants

LA LOI FRANÇAISE SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE (3) Illustration et analyse des insuffisances de la loi : TotalEnergies

🎁 Le 27 mars 2023, la loi sur le devoir de vigilance adoptée par la France a fêté son 6ème anniversaire.

Je vous ai proposé 

Un rappel des grandes lignes de la loi.

🎯 Un détour par la notion d’amplification du risque par le régulateur-législateur pour comprendre l’impact qu’elle a pu avoir sur l’approche de gestion des risques des entreprises françaises.

Plus des éléments de lecture.

Un bilan plutôt mitigé de la loi française sur le droit de vigilance en 15 minutes d’écoute.

Je vous propose aujourd’hui 

📸 Une illustration et une analyse des insuffisances de la loi à travers l’exemple de TOTALENERGIES à travers deux articles :

  1. Flash : le juge des référés se prononce sur le devoir de vigilance de TotalEnergies
  2. Devoir de vigilance : des vertus du dialogue aux risques de la co-construction

Je vous proposerai début juin pour nous tourner vers l’avenir et clôturer notre séquence sur la loi française sur le devoir de vigilance

📌 Un point sur le texte de la commission des affaires juridiques du Parlement européen dont le vote en plénière est prévu pour le 1er juin.

Illustration et analyse des insuffisances de la loi : TOTALENERGIES

✅ Comme l’écrit très justement J.Ph Riehl sur LI, le devoir de vigilance impose le dialogue entre l’entreprise et ses parties prenantes.
Or la décision du juge des référés du tribunal de Paris, rendue le 28 février dernier, apporte des éclaircissements sur les obligations des entreprises en la matière ; ils sont malheureusement encore insuffisants.

✅ Cette décision montre très justement l’ampleur de la tâche qui attend les juges et tous les acteurs du domaine de la vigilance. Si le législateur a ouvert la voie d’un nouveau domaine de responsabilité pour les entreprises, les incertitudes et lacunes restent très, voire trop, nombreuses. Le juge ne pourra pas toutes les combler.

✅ Aucune décision de fond encore rendue / décrets d’application pas publiés / pas de cadre / un premier jugement en référé qui apporte des lumières, encore insuffisantes sur les obligations des entreprises françaises. Ce constat ramène à notre analyse d’un contenu peu structurant des lois françaises dans le domaine de la gestion des risques qui induit des logiques de sur réaction et de sur référence aux procédures. Dans ses conséquences juridiques, il modifie le régime de responsabilité des dirigeants, sans que la sanction soit clairement établie.

Dans une certaine mesure, elles orientent la Fonction Risk Manager vers un rôle qui est d’assurer la légitimité de l’organisation vis-à-vis de son environnement. La seule certitude qu’ont les organisations est que ce serait bien pire si elles ne le faisaient pas.

L’enjeu pour la Fonction Risk Manager dans les grandes entreprises françaises est de cesser d’être une fonction de contrôle ou de l’être moins pour devenir un outil de management, en lien avec le plan stratégique. De passer d’une légitimité institutionnelle à une légitimité économique.

Lire ou relire sur ce sujet qui m’est cher :

Dans l’ouvrage  « RISK MANAGEMENT. ORGANISATION ET POSITIONNEMENT DE LA FONCTION RISK MANAGER. METHODES DE GESTION DES RISQUES. », CH I Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager, Amplificateur de risque 1 : le régulateur, législateur, p. 53-65.

https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html

Sur le blog Le législateur-régulateur, amplificateur de risque. Deux nouvelles illustrations issues de l’actualité (1) la loi sur le devoir de vigilance.

Sur Cairn Mon article de recherche sur la Aubry C., « La naissance de la fonction ‘risk manager’ en France », Revue Management et Avenir, n°55, septembre, 2012, p14-35.  


✅ A LIRE : le commentaire de la décision de justice de la journaliste Olivia Dufour.

FLASH : Le juge des référés se prononce sur le devoir de vigilance de TotalEnergies

La décision du juge des référés du tribunal de Paris était très attendue : c’est la première fois en effet que la justice se prononce sur le tout nouveau devoir de vigilance des entreprises. La demande des associations contre TotalEnergies est rejetée au terme d’une ordonnance soigneusement motivée qui fournit les premières guidelines des procédures à venir dans cette matière nouvelle. 

Lac Albert en Ouganda (Photo : ©AdobeStock/ondrejprosicky)

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris vient de rendre son jugement en référé dans la première affaire relative à l’application par les entreprises de leur nouveau devoir de vigilance. Il s’agit d’une nouvelle obligation créée par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017. Celle-ci a inséré deux articles dans le Code de commerce (L225-102-4 et L225-102-5) aux termes desquels les entreprises d’une taille importante (plus de 5000/10 000 salariés) doivent établir et mettre en œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elles contrôlent. En d’autres termes, ces entreprises doivent identifier et faire en sorte de prévenir les risques d’atteintes graves que leur activité fait courir aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement. Le plan comprend une cartographie de ces risques, des procédures d’évaluation régulière, des actions d’atténuation, un dispositif d’alerte et un mécanisme de suivi.

Le juge parisien était saisi par plusieurs associations dont les Amis de la terre à l’encontre de TotalEnergies concernant un important projet en Ouganda de 10 milliards de dollars au lac Albert  (Projet Tilenga, forage de 426 puits de pétrole dont certains dans un parc naturel) et le projet associé East Africa Crude Oil Projet (Eacop) : un oléoduc de 1443 km traversant la Tanzanie jusqu’au port de Tanga. Les associations dénoncent d’immenses risques environnementaux et climatiques, tandis que TotalEnergies assure qu’il a rempli toutes ses obligations de préservation de la nature et de relogement des populations.

Nous avions rendu compte de l’audience au cours de laquelle le tribunal avait souhaité être éclairé sur le devoir de vigilance par trois universitaires, invités en qualité d’amici curiae, le 27 octobre dernier (lire notre article ici).

L’ordonnance de référé rejette les demandes des associations dans une décision soigneusement argumentée qui éclaire sur le devoir de vigilance mais aussi sur le rôle du juge des référés dans ces toutes nouvelles procédures.

Nous publions ci-dessous le texte intégral de la décision prononcée ce mardi 28 février.

28/03/2023. Par Olivia Dufour. Journaliste

✅ A LIRE : les observations sur les ordonnances du TJ de Paris du 28 février 2023 par Stephanie Smatt Pinelli (Directrice Juridique Contentieux Groupe) & Yann Guilbaud (Directeur Juridique Groupe).

Devoir de vigilance : des vertus du dialogue aux risques de la co-construction

Aux termes de deux ordonnances très attendues rendues le 28 février 2023 (dont la motivation est identique), le Tribunal Judiciaire de Paris statuant en référé s’est prononcé pour la première fois sur l’application de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des entreprises multinationales, dans le cadre d’une affaire opposant plusieurs ONG à TotalEnergies.

Pour mémoire, le Tribunal avait été saisi en 2019 par plusieurs ONG françaises et ougandaises à l’encontre de Total Energies concernant la construction de deux projets majeurs en Ouganda (le forage Tilenga) et en Tanzanie (le projet EACOP – East African Crude Oil Pipeline), dont elles allèguent les risques graves d’atteintes à l’environnement, au climat et aux droits humains portant atteinte à la loi relative au devoir de vigilance. Dans le prolongement d’une mise en demeure adressé au Groupe pétrolier, les ONG sollicitaient du Tribunal qu’il enjoigne à Total Energies de se mettre en conformité avec les termes de la loi de 2017 « eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en œuvre effective ainsi que de sa publication » d’une part, et d’autre part, de suspendre la construction des projets litigieux, dans l’attente de l’octroi d’une « juste et préalable » compensation des populations expropriées. Avant de défendre la qualité et l’effectivité de son plan de vigilance et relever les limites des pouvoirs du juge des référés saisi, la société défenderesse soulevait l’irrecevabilité de l’action faute d’intérêt à agir et de qualité à défendre des associations, et des demandes portées à l’encontre de son plan publié en 2018 aujourd’hui dépourvues d’objet du fait de l’édiction de plans postérieurs pour lesquels le préalable de mise en demeure n’avait pas été respecté.

Suivant une motivation dont on peut saluer la rédaction, le Tribunal juge logiquement irrecevables les demandes formées par les ONG au motif principal de l’absence de concordance entre les termes de la mise en demeure adressée en mai 2019 et de l’assignation, outre l’existence de griefs formulés postérieurement n’ayant pas pu faire l’objet d’un dialogue entre l’entreprise et les ONG, ne statuant de ce ne fait pas sur le fond des demandes des ONG dont il juge qu’elles relèvent de la compétence du juge du fond. Néanmoins, ces ordonnances apportent un éclairage sur l’interprétation judiciaire de la notion de RSE et des pouvoirs du juge en matière d’application de la loi relative au devoir de vigilance. Elles apportent par ailleurs des indications sur les contours du devoir de vigilance des entreprises notamment quant au mode opératoire de l’élaboration du plan de vigilance dont le juge estime qu’il doit être « co-construit » entre les parties prenantes de l’entreprise et l’entreprise, interprétation dont on verra qu’elle ouvrira vraisemblablement, si elle devait être confirmée, la voie à de nombreux questionnements et débats sur l’étendue, les modalités et les effets de cette co-construction. Un autre apport important de ces ordonnances consiste dans l’incitation faite par le Tribunal de recourir aux modes alternatifs de résolution des litiges en matière de devoir de vigilance.

Pour introduire sa décision, le Tribunal donne une définition de la RSE en ces termes : « un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complémentée par un cadre légal et règlementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité». On y retrouve le glissement déjà beaucoup commenté entre la démarche volontaire (telle que relevant des premières applications législatives de la RSE telles que la loi NRE puis la loi Pacte) et le devoir dans ce qu’il a de plus contraignant.

Le Tribunal évoque par ailleurs la prolifération des législations nationales, amorcée par la France, pionnière en matière de vigilance, visant à la mise en œuvre des principes des Nations Unies et de l’OCDE sur de respect des droits humains et la coopération et le développement économique. Il en rappelle la portée extraterritoriale, faisant ainsi implicitement référence au projet de directive sur la diligence européenne qui prévoit de la consacrer expressément.

Le Tribunal rappelle ensuite les dispositions des article L 225-102-4 et 5 avant d’en dénoncer – à juste titre – le caractère insuffisamment précis et de rappeler l’impérieuse nécessité que soit publié un décret d’applicationIl souligne ainsi notamment le caractère « général» des mesures de vigilance prévues par le texte, l’absence de « nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s’imposant aux entreprises concernées » mais aussi de « modus operandi, de schéma directeur ; d’indicateurs de suivi, d’instruments de mesure devant présider à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation par l’entreprise des mesures générales de vigilance pesant sur elle (…) » ou encore – faisant référence aux mécanismes de la conformité issus de la loi Sapin II – d’un « organisme de contrôle indépendant, ou moniteur, ou indicateurs de performance (…) pour évaluer ex-ante le plan de vigilance adopté par l’entreprise ou pour vérifier la réalité de l’exécution de ce post ex-post». Sur ce dernier point, le Tribunal semble ici encore faire appel à l’intervention du régulateur, cette fois-ci européen, dont on sait qu’il envisage la création d’une autorité de contrôle à l’instar de l’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations chargé de l’application de la loi allemande sur le devoir de diligence des entreprises dans les chaines d’approvisionnement (« Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz »), entrée en vigueur le 1er janvier 2023.

Le constat du Tribunal de l’imprécision de la loi est partagé. Elle est source d’une grande insécurité juridique pour les entreprises qui ne disposent pas de référentiels précis leur permettant de déterminer avec certitude l’étendue de l’obligation de vigilance qui pèse sur elles et les modalités de sa mise en œuvre. Les ordonnances du 28 février 2023 n’y répondent pas mais ont le mérite de rappeler la nécessité d’une intervention normative, à défaut de quoi le Juge ne pourra pas trancher les litiges qui lui sont soumis, sauf à se substituer – a posteriori – au législateur pour déterminer l’étendue de la responsabilité de l’entreprise, le cas échéant, ce qui n’est pas son rôle.

A la suite de ce constat, le Tribunal porte une attention particulière au mode opératoire de l’élaboration du plan et se livre à ce sujet à une interprétation extensive des intentions du législateur dont il relève qu’il aurait « expressément manifesté son intention de voir ce plan de vigilance élaboré dans le cadre d’une co-construction et d’un dialogue entre parties prenantes de l’entreprise et l’entreprise ». Le Tribunal voit dans cette co-construction et la pluralité des points de vue qu’il implique la garantie d’une « meilleure définition du périmètre de vigilance » d’une part et, d’autre part, celle d’une réduction considérable « des risques de contentieux mettant en cause la pertinence du plan si celui-ci a été défini et validé avec les parties prenantes ». Si ces ambitions sont nobles pour éviter l’activisme judiciaire, et si une coopération est indispensable pour réduire ces risques, la co-construction préconisée par le juge des référés va vraisemblablement poser une série de questions et de difficultés pratiques dans sa mise en œuvre et juridiques dans ses effets, notamment en termes responsabilité respective des parties prenantes et de l’entreprise en cas de désaccord sur les termes du plan. En effet, si celle-ci implique une approbation de tous les intervenants, quel serait alors leur part de responsabilité respective en cas d’échec de l’élaboration du plan ou de lacunes dans son contenu ? Comment, en pratique, gérer le désaccord, celui-ci pouvant intervenir à deux niveaux : entre les différentes parties prenantes entre elles d’une part, ou entre les parties prenantes et l’entreprise de l’autre, et faire converger les points de vue notamment sur ce qui concerne le périmètre de vigilance dont on sait qu’il est précisément le nœud du problème ?

Prenons l’exemple de mesures proposées par une partie prenante jugées « déraisonnables » ou disproportionnées par l’entreprise qui conduirait à une situation de blocage dans l’élaboration du plan, l’entreprise pourrait-elle en être tenue pour responsable ? Le cas échéant, cela reviendrait à considérer que l’entreprise est réduite à agir sous la contrainte, voire que les parties prenantes deviennent in fine les seules rédactrices du plan sans toutefois en assumer la responsabilité.

Au cas présent, et sans préjuger du bienfondé des demandes des ONG, aurait-il appartenu au juge du fond, d’établir dans son jugement la liste desdites mesures sur la base des suggestions des demanderesses (à savoir, parmi d’autres mesures, une réaffectation de la géographie du projet, une modification de l’ensemble des installations des sites concernées, la livraison de nourriture en quantité suffisante aux populations avoisinantes jusqu’18 mois après le versement de la compensation etc.)? A suivre la lettre de la loi, rien n’est moins sûr. En tout état de cause, en serait-il compétent à la fois du point de vue judiciaire et technique ? Ici encore cela est discutable. En tout état de cause, des prérogatives aussi élargies ne paraissent pas souhaitables et doivent être circonscrites à une injonction faite à l’entreprise récalcitrante, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures de vigilance raisonnables, la charge et la responsabilité de les définir, de les déployer et de les assumer lui appartenant en priorité. Si le dialogue est essentiel en la matière et une coopération effectivement souhaitable pour limiter les contentieux, encore faut-il que l’entreprise reste maîtresse de son plan et assume seule les conséquences de ses éventuels manquements.

C’est ici que l’incitation du Tribunal à recourir aux modes alternatifs de règlement des litiges prend tout son sens. En effet, si le juge consacre le mécanisme de la mise en demeure préalable à sa saisine, dont il juge qu’elle a vocation à « instituer une phase obligatoire de dialogue et d’échange amiable au cours de laquelle la société pourra répondre aux critiques formulées à l’encontre de son plan de vigilance et lui apporter les modifications nécessaires », son intention semble s’orienter vers l’instauration du recours à la médiation dès le processus collaboratif d’élaboration du plan, recours que dans le cadre de la procédure objet de cette Tribune les demanderesses ont systématiquement refusé.

9 mars 2023 / Le Monde du Droit / Stephanie Smatt Pinelli (Directrice Juridique Contentieux Groupe) & Yann Guilbaud (Directeur Juridique Groupe)

#Risques #Conformité #RSE #DevoirDeVigilance

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LA LOI FRANÇAISE SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE (1)

🎁 Le 27 mars 2023, la loi sur le devoir de vigilance adoptée par la France a fêté son 6ème anniversaire.

Je vous propose à cette occasion et pour les semaines à venir :

✴ Un rappel des grandes lignes de la loi (20 avril 2023)

Plus à lire ou relire.

🎯 Un détour par la notion d’amplification du risque par le régulateur-législateur pour comprendre l’impact qu’elle a pu avoir sur l’approche de gestion des risques des entreprises françaises (20 avril 2023)

Plus à lire ou relire.

Un bilan plutôt mitigé de la loi française sur le droit de vigilance en 15 minutes d’écoute (4 mai 2023)

📸 Une illustration des insuffisances de la loi à travers l’exemple de TOTAL (18 mai 2023).

Un rappel des grandes lignes de la loi 

Date : 27 mars 2017 

Périmètre : prévention des atteintes graves envers les droits humains et libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation. Réduction des impacts négatifs sur l’ensemble des « droits humains fondamentaux » dans les relations d’affaires.

Dispositif : mise en place d’un plan de vigilance / objectifs – prévention des atteintes graves envers les droits humains et libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation ; réduction des impacts négatifs sur l’ensemble des « droits humains fondamentaux » dans les relations d’affaires – / cinq outils qui suivent trois des cinq étapes de la démarche de gestion des risques que je définis dans mes travaux – cartographie et évaluation (étape 3) ; plans d’actions, mécanisme d’alerte et de recueil des signalements (étape 4);  suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité (étape 5) -.

Champ d’application : entreprises d’au moins 5000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ; entreprises d’au moins 10 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes et dont le siège social est fixé à l’étranger.

Sanctions : une obligation de moyens. La société engage sa responsabilité civile à hauteur des préjudices que l’exécution de ses obligations de vigilance aurait permis d’éviter.                                      

🎯 La notion d’amplification du risque par le régulateur-législateur et son impact sur l’approche de gestion des risques des entreprises françaises 

Le concept d’amplification sociale du risque suggère que les risques sont amplifiés et instrumentalisés par des institutions telles que le régulateur-législateur et les médias.

Le rôle du régulateur-législateur a commencé en France avec la Loi de Sécurité Financière.

Sur fond de scandales et de crise, les interventions du régulateur-législateur ont amené les entreprises à renforcer les systèmes de contrôle interne et de gestion des risques : loi du 3 juillet 2008, ordonnance du 8 décembre 2008 ; rapport du 8 décembre 2009de l’AMF ; loi Sapin II du 9 décembre 2016 ; loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2027…

La lecture néo-institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983) éclaire la manière dont les règlementations ont participé à la mise en place de la démarche de gestion des risques dans les entreprises françaises et à la création d’une Fonction Risk Manager de type contrôle ; elle le porte dans leurs gênes. Les organisations adoptent des structures similaires en raison de l’appartenance à des environnements institutionnels qui interagissent sur les organisations suivant trois mécanismes : coercition,  transmission des normes, imitation. Ces trois mécanismes aboutissent à l’isomorphisme institutionnel.

La coercition qui nous intéresse ici apparaît avec des pressions formelles et informelles exercées par d’autres organisations desquelles elles dépendent et des attentes de la société dans laquelle l’entreprise fonctionne ; l’état est un acteur influent par le biais des lois et réglementations (Fligstein, 1990).

Le contenu peu structurant des lois françaises ont induit des logiques de sur réaction et de sur référence aux procédures. Dans ses conséquences juridiques, il modifie le régime de responsabilité des dirigeants.

Dans une certaine mesure, elles orientent la Fonction Risk Manager vers un rôle qui est d’assurer la légitimité de l’organisation vis-à-vis de son environnement. La seule certitude qu’ont les organisations est que ce serait bien pire si elles ne le faisaient pas.

L’enjeu pour la Fonction Risk Manager dans les grandes entreprises françaises est de cesser d’être une fonction de contrôle ou de l’être moins pour devenir un outil de management, en lien avec le plan stratégique. De passer d’une légitimité institutionnelle à une légitimité économique.

Pour en savoir plus :

📖 lire ou relire

Dans l’ouvrage  « RISK MANAGEMENT. ORGANISATION ET POSITIONNEMENT DE LA FONCTION RISK MANAGER. METHODES DE GESTION DES RISQUES. », CH I Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager, Amplificateur de risque 1 : le régulateur, législateur, p. 53-65. Mise en perspective de la Fonction Risk Manager, p.90-92. https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html

Sur le blog Le législateur-régulateur, amplificateur de risque. Deux nouvelles illustrations issues de l’actualité (1) la loi sur le devoir de vigilance.

Sur Cairn Mon article de recherche sur la Aubry C., « La naissance de la fonction ‘risk manager’ en France », Revue Management et Avenir, n°55, septembre, 2012, p14-35.  https://www.google.com/search?q=la+naissance+de+la+fonction+risk+manager&rlz=1C1GCEA_enFR874FR874&oq=la+naissance+de+la+fonction+risk+manager&aqs=chrome..69i57j33i160l2.12431j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8

A SUIVRE : Un bilan plutôt mitigé de la loi française sur le droit de vigilance en 15 minutes

Une façon d’analyser l’ampleur des risques ou comment parler de l’ampleur des risques.

L’actualité témoigne d’une ampleur inédite des risques sous l’effet des cinq facteurs à l’œuvre depuis les années quatre-vingt-dix, qui fait aujourd’hui de sa gestion une variable stratégique de la réflexion des organisations.

🏁 Un ouvrage à venir / « Risk Management. Organisation et Positionnement de la Fonction Risk Manager. Méthodes de Gestion des Risques. » / Parution le 9 juin 2022 / Editions Gereso.

https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html

Il s’agit de :

La 2ème édition de notre ouvrage «  La Fonction Risk Manager. Organisation, Méthodes et Positionnement » (Editions Gereso, 2019)

Avec un titre plus « large » / La Fonction Risk Manager / La démarche de Gestion des Risques

 Avec de nouveaux exemples :

Comme, dans le chapitre I « Définition des notions et contextualisation de la Fonction Risk Manager, celui intitulé « Le Risque de Réputation et le Risque Ethique : une « nouvelle » affaire Nike

Pour illustrer

  • l’imbrication des facteurs déjà mis en œuvre depuis les années quatre-vingt-dix
  • la transversalité du risque.

🎯 Aujourd’hui, je vous propose un autre exemple à travers un article de Nathalie Belhoste sur ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Lafarge.

  Même intitulé : Risque de Réputation et Risque Ethique.

 Mêmes facteurs : élargissement du domaine de la gestion des risques / subjectivité et perception du risque / amplification du risque par les médias / le régulateur-législateur / réticence des assureurs à l’assurer / les « affaires » / amplification du risque par le régulateur-législateur.

  Transversalité du risque : Réputation / Ethique / Géopolitique.

🏅Testez cette grille de lecture sur les risques du Top Ten des baromètres de risques –  cyber-risque/risque sanitaire… – ; sur les affaires – Incendie de l’usine Lubrizol…-.

Affaire Lafarge en Syrie, pour Nathalie Belhoste, il y a eu « une myopie organisationnelle »

Que nous apprend l’affaire Lafarge en Syrie sur la responsabilité des entreprises en temps de guerre ?

Nathalie Belhoste, professeure associée à l’école de management de Grenoble : « De mon point de vue, cette affaire révèle plusieurs failles dans la compréhension des éléments par les entreprises. Le cimentier a fait preuve d’une myopie organisationnelle dans le sens où il a voulu rester à tout prix pour sauver des investissements énormes (680 millions d’euros sur le site) et s’est retrouvé dans une situation de dépendance vis-à-vis d’acteurs illégitimes et illégaux. Ce phénomène a été renforcé par une gestion à distance entre l’usine et le siège social qui a pu nuire à l’appréciation du danger de la complexité locale. Par ailleurs, les signaux forts auraient dû être observés et ne l’ont pas été (comme le développement des sanctions et embargos au fil des années). »
De nombreuses entreprises s’en sont allées de Russie, comme Renault et McDonald’s tout récemment, que ce soit par solidarité avec l’Ukraine ou parce qu’elles étaient asphyxiées par les sanctions. Quel parallèle peut-on faire avec l’affaire Lafarge ?« Rappelons d’abord que les situations sont bien différentes : en Syrie, il s’agissait d’une guerre civile, tandis qu’en Ukraine, c’est un conflit entre deux États-nations. Toutefois, on voit que les entreprises ne réagissent plus avec la même temporalité. On se pose beaucoup plus tôt la question de savoir s’il faut rester dans un pays en guerre. Des affaires comme celles de Lafarge ont permis de se rendre compte du coût pénal à ne pas appliquer la loi. Et il ne faut pas oublier la mise en place de la loi Sapin II et l’instauration du devoir de vigilance en 2017 (qui imposent aux entreprises des procédures de vérification des tiers afin notamment de lutter contre la corruption, le trafic d’influence, l’atteinte aux droits humains, à l’environnement et à la santé des personnes). Cela oblige les entreprises à être plus conscientes des conséquences de leurs actions. »
Parfois, c’est la pression de la société civile qui a poussé les entreprises à partir de Russie…« Oui, tout à fait. Et c’est une différence fondamentale entre les deux situations : la mobilisation a été beaucoup plus rapide en 2022 pour l’Ukraine qu’elle ne l’a été en 2011 en Syrie. Bien sûr, la médiatisation et la lecture claire de la guerre en Syrie se sont faites plus graduellement, mais on voit aussi que la société civile a changé. Les ONG et la population sont bien plus sensibilisées et ont appelé très rapidement au boycott de plusieurs entreprises restées en Russie. Il est intéressant de voir qu’elles ne sont pas toutes logées à la même enseigne et que certaines, moins connues du grand public, sont restées sans subir les foudres de la vindicte populaire. »

Repères

Une possible mise en examen de Lafarge

La cour d’appel de Paris rendra mercredi sa décision sur la validité de la mise en examen du groupe pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Lafarge SA est soupçonné d’avoir versé en 2013 et 2014, via une filiale, près de 13 millions d’euros à des groupes terroristes, dont l’organisation État islamique (EI), afin de maintenir l’activité d’une cimenterie en Syrie alors que le pays s’enfonçait dans la guerre. Le groupe a toujours contesté toute responsabilité dans la destination de ces versements à des organisations terroristes. Dans ses réquisitions, le parquet général a demandé le maintien de la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité » de Lafarge mais a requis l’annulation de sa mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Les avocats du cimentier n’ont pas souhaité faire de commentaire avant le délibéré de mercredi.

Nathalie Belhoste. 17/05/2022. 

LE LEGISLATEUR-REGULATEUR, AMPLIFICATEUR DE RISQUE. DEUX NOUVELLES ILLUSTRATIONS ISSUES DE l’ACTUALITE. (1) LA LOI SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE.

Le législateur-régulateur a contribué et contribue à la diffusion de ce que M. Power appelle l’image d’un monde plus risqué et l’ont amplifié. Ils amplifient la notion de responsabilité du dirigeant en cas de négligence.

Le concept d’amplification sociale du risque.

Le concept d’amplification sociale du risque suggère que les risques sont amplifiés et instrumentalisés par des institutions telles que le régulateur-législateur et les médias. Le rôle du régulateur-législateur a commencé en France avec la Loi de Sécurité Financière. Sur fond de scandales et de crise, les interventions du régulateur-législateur  ont amené les entreprises à renforcer les systèmes de contrôle interne et de gestion des risques : loi du 3 juillet 2008, ordonnance du 8 décembre 2008 ; rapport du 8 décembre 2009de l’AMF ; loi Sapin II du 9 décembre 2016 ; loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2027…

Les loi Sapin II du 9 décembre 2016 et loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2027 ont comme points communs :

  • de mettre en place de la prévention (des plans d’action) et de la communication (transparence, communication judiciarisée) ;
  • de renforcer la responsabilité des dirigeants.

En savoir plus…

Pour en savoir plus sur le concept d’amplification du risque (Kapperson et al., 1988 ; Pidgeon et al., 2003), sur les lois Sapin II et devoir de vigilance, les lois, règlements et soft-law (principe de précaution, normes) : voir « La Fonction Risk Manager. Organisation, Méthodes et positionnement. » Aubry et Dufour. Chapitre 1 Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager ; p.47-58.

Lien. https://www.la-librairie-rh.com/livre-entreprise/la-fonction-risk-manager-fris.html

Cette semaine je vous propose deux articles relatifs à l’actualité de la loi sur le devoir de vigilance : « les litiges seront tranchés par le tribunal judicaire ». Dans quinze jours je vous proposerai un article sur le passage de la loi sapin II à la loi Sapin III : « ce que l’on sait de la future loi Sapin III. »

Devoir de vigilance : les litiges seront tranchés par le tribunal judiciaire

© Laurence Soulez

C’est finalement le tribunal judiciaire de Paris qui sera compétent pour trancher les litiges portant sur le devoir de vigilance des multinationales introduit dans le Code de commerce par la loi du 27 mars 2017. C’est en effet ce qu’a décidé la commission mixte paritaire (CMP) réunie, ce jeudi 21 octobre, pour trouver un accord sur les dispositions encore en discussion du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Il s’agissait là de l’intention du gouvernement qui avait inscrit cette compétence dans son projet de loi. Mais, fin septembre, le Sénat était revenu sur cette disposition en confiant cette compétence au tribunal de commerce de Paris, réputé plus à l’écoute des arguments des entreprises que le tribunal judiciaire. Le sénateur LR Serge Babary avait fait valoir que le tribunal de commerce traitait déjà des litiges de nature économique et commerciale de dimension internationale. Au contraire, pour le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, le devoir de vigilance porte sur des sujets qui « relèvent par essence des juridictions judiciaires ».

Le 16 octobre, 26 ONG avaient signé une tribune sur Médiapart appelant les parlementaires à « ne pas brader les droits humains au tribunal de commerce ». « Les premiers contentieux portent (…) sur des allégations de graves violations du droit à l’alimentation causées par des expropriations massives ainsi que des risques de dommages environnementaux irréversibles liés à un projet pétrolier de Total en Ouganda, de déforestation et d’invasion de territoires autochtones par des fournisseurs de Casino au Brésil ou encore de contamination d’un réseau d’eau potable par une filiale de Suez au Chili », rappelaient les organisations signataires. « Confier ces contentieux à un tribunal de commerce serait un recul inexplicable et un non-sens historique », expliquaient-elles

Laurent Radisson ; journaliste ; 21 octobre 2021   

DEVOIR DE VIGILANCE : LES PARLEMENTAIRES ATTRIBUENT LA COMPÉTENCE AU TRIBUNAL JUDICIAIRE, UN SOULAGEMENT POUR LES ASSOCIATIONS

Depuis des années les affaires liées au devoir de vigilance traînent en raison d’un flou sur la compétence des tribunaux pouvant juger ces litiges. Le 21 octobre, les parlementaires ont finalement attribué cette compétence au tribunal judiciaire. Un soulagement pour les associations qui poursuivent des multinationales sur leur impacts environnementaux et sociaux sur l’ensemble de leurs chaînes de valeur.

C’est un feuilleton qui prend fin. Depuis quelques mois, une bataille fait rage dans l’hémicycle pour savoir qui du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire est compétent pour juger les affaires liées au devoir de vigilance. Ce dernier, voté en 2017, oblige les entreprises multinationales à assurer une activité de production respectueuse des droits humains et de l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Le 21 octobre, les parlementaires, réunis en commission mixte paritaire dans le cadre de l’examen du Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, ont finalement décidé de confier au tribunal judiciaire la compétence pour juger les affaires liées au devoir de vigilance.

« La lutte contre l’impunité des entreprises multinationales ne souffre désormais plus d’ambiguïtés !« , s’est réjoui le député socialiste Dominique Potier. « Les atteintes aux droits humains et à l’environnement par les entreprises ne pourront plus être examinées par des tribunaux de commerce mais exclusivement par un tribunal judiciaire », ajoute-t-il. Le sujet, technique, est pourtant primordial quant à l’application de cette loi dont la France est pionnière en Europe. Les associations étaient montées au front quand, le 29 septembre dernier, les sénateurs avaient, contre l’avis du gouvernement, choisi d’attribuer la compétence au tribunal de commerce.

« Une très bonne nouvelle » 

Le risque, selon elles, était de vider de sa substance le devoir de vigilance « avec une vision trop restrictive »« Les juges des tribunaux de commerce sont des commerçants élus par leurs pairs. Ils tirent leur légitimité de leur connaissance du monde des affaires alors que le devoir de vigilance concerne la protection des droits humains et environnementaux, il dépasse très largement les enjeux commerciaux », expliquait à Novethic Juliette Renaud, responsable de campagne « régulation des multinationales » des Amis de la Terre. « 

Depuis des années, le débat freine drastiquement les décisions judiciaires sur le fond des dossiers. La première affaire faisant appel au devoir de vigilance n’a par exemple toujours pas été jugée. Plusieurs ONG dont les Amis de la Terre et Survie poursuivent en effet Total concernant deux méga projets en Ouganda et en Tanzanie qui priveraient les populations riveraines de leur terre.

En décembre 2020, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement en première instance du tribunal judiciaire de Nanterre qui s’était déclaré incompétent à juger l’affaire, préférant la déléguer au tribunal de commerce. À l’inverse, le tribunal de Nanterre s’est déclaré compétent pour juger une autre action en justice visant Total non pas sur son impact sur les droits humains mais sur son inaction climatique.

Cette décision est « une très bonne nouvelle pour les affaires liées au devoir de vigilance. Notre action en justice contre Total avec quatre ONG et 14 collectivités et celle des Amis de la Terre contre les activités de Total en Ouganda pourront enfin être jugées sur le fond devant les tribunaux compétents« , s’est ainsi réjouit l’association Notre Affaire à Tous. 

Marina Fabre ; 2022 ; Novethic

Risque Ethique. Travail forcé des Ouïghours : enquête ouverte en France contre quatre géants du textile

L’actualité récente témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques, qui fait aujourd’hui de sa gestion une variable stratégique de la réflexion des entreprises.

Nouveaux risques.

Les cyber-attaques appartiennent à la catégorie des risques nouveaux ; le cyber-risque est d’ailleurs le premier cité par les entreprises dans le baromètre des risques de l’assureur Allianz. L’incendie de l’usine Lubrizol, le jeudi 26 septembre, n’est pas qu’un risque « traditionnel » d’incendie ; il s’agit d’un risque éthique dans sa dimension de développement durable. La plainte déposée début avril au parquet national antiterroriste (Pnat) par plusieurs associations de défense des droits humains contre quatre enseignes de la mode est un risque éthique dans sa dimension de gouvernance : respect par l’entreprise des engagements pris, transparence et ouverture aux besoins de l’environnement dans laquelle elle opère, prise en compte des parties prenantes, les actionnaires et tous les groupes ou individus qui peuvent affecter ou être affectés par la réalisation de ses objectifs.

Amplification du risque.

Les médias amplifient la notion de responsabilité du dirigeant en cas de négligence, les logiques de compensation. Le risque de réputation devient le « cauchemar » des organisations.

Pour plus de détail.

Voir La Fonction Risk Manager. Organisation, Méthodes et positionnement. Chapitre 1 Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager. Chapitre 3 Définition et illustration des différentes classes de risques auxquelles sont confrontés les Risk Managers.

Lien. https://www.la-librairie-rh.com/livre-entreprise/la-fonction-risk-manager-fris.html

Voir Blog. Catégorie Risques. Rubriques Risque de réputation ou Médias et amplification du risque.

Travail forcé des Ouïghours : enquête ouverte en France contre quatre géants du textile

La justice française a ouvert une enquête pour « recel de crimes contre l’humanité » contre quatre enseignes de la mode, qui contestent ces accusations. Cette enquête fait suite à une plainte déposée début avril au parquet national antiterroriste (Pnat) par plusieurs associations de défense des droits humains.

Il n’y a pas seulement la Chine qui est pointée du doigt. Alors que Pékin est accusée par l’Occident de torture, de travail forcé, voire de génocide sur la communauté Ouïghoure, plusieurs géants mondiaux du textile sont accusés de complicité par des associations de défense des droits humains. Quatre enseignes sont désormais dans le collimateur de la justice française, a indiqué une source judiciaire ce jeudi à l’AFP, confirmant une information de « Mediapart ».

Une enquête pour « recel de crimes contre l’humanité » a ainsi été ouverte fin juin contre Uniqlo France (qui appartient au groupe japonais Fast Retailing), Inditex (qui détient les marques Zara, Bershka, Massimo Duti), SMCP (Sandro, Maje, de Fursac…) et le chausseur de sport Skechers.

Une enquête « historique »

Ouverte par le pôle « crimes contre l’humanité » du parquet national antiterroriste (Pnat), cette enquête fait suite à une plainte déposée début avril à Paris par l’association anti-corruption Sherpa, le collectif Ethique sur l’étiquette et l’Institut ouïghour d’Europe.

Les associations reprochent à ces entreprises de commercialiser des produits fabriqués en totalité, ou en partie, dans des usines où des Ouïghours sont soumis au travail forcé. Elles estiment aussi que ces sociétés ne justifient pas d’efforts suffisants pour s’assurer que leurs sous-traitants ne sont pas impliqués dans les persécutions de cette minorité.

Ces multinationales, en bénéficiant du travail forcé de cette minorité, font « entrer un crime contre l’humanité dans nos vies quotidiennes », avait déploré en avril l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, apportant son soutien à la démarche judiciaire des ONG. L’élu a réagi le jour même sur Twitter, estimant que l’ouverture de cette enquête était « historique ».

Les entreprises contestent

Dans le détail, le géant espagnol Inditex est épinglé pour ses liens supposés avec des producteurs de fils et de tissus du Xinjiang. Une accusation formellement contestée par Inditex France. « Des contrôles de traçabilité rigoureux sont menés au sein du groupe. Ils ont permis de vérifier que les allégations provenant de cette plainte sont infondées. Le groupe coopérera, pour l’établir, avec les autorités judiciaires françaises », indique l’entreprise espagnole.

Le géant mondial de la mode à petit prix a mis en place une charte il y a des années, qui condamne notamment le travail forcé, ou encore celui des enfants. Quelque 6.000 audits sont menés dans les pays « sensibles », afin de vérifier que ses sous-traitants la respectent. « Nous appliquons une tolérance zéro à l’égard de toute forme de travail forcé et nous avons établi des politiques et des procédures pour garantir que cette pratique n’existe pas dans notre chaîne d’approvisionnement ».

Uniqlo, qui a pris position officiellement contre le travail forcé de la minorité, est accusé lui de s’être fourni en textile dans la région et dans la province d’Anhui, où des milliers de travailleurs ouïghours ont été transférés, possiblement contraints.

Le fabricant SMCP a lui pour actionnaire majoritaire Topsoho, une société détenue par le Chinois Shandong Ruyi qui, aurait implanté ses usines depuis 2010 dans le Xinjiang. Des accusations réfutées avec « la plus grande fermeté », a réagi l’entreprise, qui assure vouloir « coopérer pleinement avec l’enquête pour démontrer que celles-ci sont fausses ».

Enfin, des chaussures de Skechers USA France auraient été produites dans une usine de la province du Guangdong, où travaillent des Ouïghours transférés potentiellement de force, selon les plaignants.

Avec AFP

Les Echos, 2 juillet 2021.

Préjudice écologique et responsabilité environnementale, quelle responsabilité pour l’entreprise ?

Pour continuer sur les risques environnementaux des entreprises.
Pollution de l’air ou de l’eau, dépollution d’un site… Les atteintes à l’environnement sont de plus en plus présentes.

Trop souvent sous-estimés, complexes, longs et onéreux à réparer…

Face au risque écologique, quelle responsabilité pour l’entreprise et ses dirigeants ?

En pleine actualité Lafarge – pollution de la Seine – (voir article de la semaine dernière), je vous propose pour en savoir plus sur le risque environnemental un podcast éclairant.
Ecoutez sur ce sujet le Responsable des risques environnementaux de Chubb.  

Ecouter le podcast

chubb.com

Risque EnVIRONNEMENTAL. DEFINITION. ILLUSTRATION : LAFARGE

<p value="<amp-fit-text layout="fixed-height" min-font-size="6" max-font-size="72" height="80"><strong>Pourquoi le risque devient-il une variable centrale de la réflexion organisationnelle des entreprises ?</strong>Pourquoi le risque devient-il une variable centrale de la réflexion organisationnelle des entreprises ?

Il le devient sous l’effet de cinq facteurs.

Le premier est l’élargissement du domaine de la gestion des risques Au début des années 1990, de nouveaux risques voient le jour : les changements technologiques dans le système d’informations font partie des premiers cités par les entreprises. Des qualificatifs viennent préciser la nature du risque : aux risques traditionnels (incendie, inondation…) s’ajoutent le risque éthique, le risque environnemental.

Encadré 3 – Le risque éthique  

L’éthique peut être définie comme la mise en pratique quotidienne des valeurs de l’entreprise et plus largement le respect des valeurs humaines et sociétales. Elle a pris de plus en plus de place dans les cursus universitaires comme dans le discours des hommes politiques et des entrepreneurs qui la déclinent en : (1) développement durable en matière d’environnement ; le risque éthique est alors proche du risque environnemental ; (2) gouvernance ; il s’agit alors de respect des engagements pris, de transparence et ouverture aux besoins de l’environnement dans lequel opère l’organisation, de prise en compte des parties prenantes (actionnaires et autres)[1]. Ainsi le niveau éthique d’une entreprise sera celui de ses dirigeants et de ses salariés, se traduisant par une pratique commune et cohérente avec les valeurs affichées.

En pratique, cette considération se traduit notamment par la capacité de la gestion des risques à amener le débat sur des risques sous-estimés : le risque de corruption, de conflits d’intérêt, le risque de fraude interne, le risque de blanchiment des capitaux, le risque de dérive des prestations externalisées, le curseur que l’entreprise doit mettre sur sa sécurité au travail.

Source : extrait La Fonction Risk Manager. Organisation, Méthodes et Positionnement ; p. 30 ; Aubry C et Dufour N.

C’est à ce risque que l’entreprise Lafarge est aujourd’hui confrontée.

Ouverture d’une enquête après une « suspicion de pollution » de la Seine par Lafarge

Europe 1 révèle que l’entreprise a laissé s’écouler des boues polluées au ciment et au plastique dans la Seine. Pour l’Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique, cette pollution est volontaire. La Mairie de Paris a annoncé qu’elle allait porter plainte.

Le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête à l’encontre du cimentier français Lafarge, pour « suspicion de pollution de la Seine par une entreprise de travaux publics ».L’industriel a laissé s’écouler dans la Seine, en plein Paris, des boues polluées au ciment et au plastique : un « incident » reconnu par l’entreprise, qui toutefois nie le caractère volontaire de cette pollution dénoncé par une association, rapporte Europe 1 mardi 1er septembre.

La Mairie de Paris a annoncé qu’elle allait porter plainte contre Lafarge. « C’est un véritable scandale écologique, alors que nous travaillons avec nos partenaires depuis de nombreuses années pour améliorer la qualité du fleuve. La Ville de Paris va saisir le procureur de la République pour ces faits graves qui portent atteinte à notre environnement », a réagi Anne Hidalgo, la maire de Paris, sur Twitter.

Près du ministère de l’économie, dans le 12e arrondissement de la capitale, le cimentier Lafarge dispose d’un entrepôt sur les quais de Seine. Sur une vidéo publiée par Europe 1, on voit un camion à béton vider sa cuve dans une autre cuve sur le quai, mais celle-ci est percée et laisse s’écouler une eau blanchâtre dans le fleuve parisien. Selon la radio, ce qui s’échappe est « un mélange liquide de particules de ciment et de tiges en plastique ».

« Clairement, c’est volontaire. Dans ces cuves, ce sont toutes les eaux et les restes de béton fabriqué dans la journée qui reviennent dans les camions en fin de journée, dénonce à Europe 1 Jacques Lemoine, agent de développement de l’Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPPMA). Ensuite, la société est censée traiter ses déchets. »

Lafarge plaide l’erreur

L’Office français de la biodiversité, une agence de l’Etat, a porté plainte pour cette pollution environnementale, assure la radio, et des constats ont été effectués par la police, qui a transmis l’affaire à la justice. Lafarge déplore auprès d’Europe 1 « un incident tout à fait exceptionnel et indépendant de sa volonté » et se dit « victime d’une détérioration manifestement délibérée d’une plaque d’étanchéité qui a entraîné un écoulement temporaire d’eau recyclée dans la Seine ». L’entreprise compte également porter plainte.

Mais pour l’AAPPMA, cette pratique est ancienne ; ses membres ne croient pas à la non-implication de l’entreprise, récemment fusionnée avec le suisse Holcim, devenue LafargeHolcim. Pour l’AAPPMA, cette pollution « étouffe les poissons et pollue les algues ».

En mars 2020, une filiale du groupe Vinci avait été condamnée à 90 000 euros d’amende – dont 40 000 avec sursis – pour avoir déversé, « de manière accidentelle »« de l’eau grise chargée de sable et de traces de ciment désactivé » dans la Seine, en aval de Paris. L’entreprise avait été condamnée dans le cadre d’une procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».

Le Monde


[1] Selon Freeman (1984), une partie prenante désigne un groupe ou un individu qui peut affecter ou est affecté par la réalisation des objectifs de l’organisation.

Procès France Télécom : analyse. Nouvel élargissement du périmètre de risques des entreprises. « Risque pénal, risque financier… De l’audit d’acquisition aux plans de restructuration, « il y a désormais de la part de l’employeur la nécessité d’anticiper le risque social »

Le procès France Télécom, symbole d’une nouvelle donne sociale

Exit le droit social « à la papa ». Avocats, syndicats et juges vont puiser leurs arguments ailleurs que dans le Code du travail. Explications en ce jour du jugement de France Télécom.

Changement d’époque. Pour la première fois, ce vendredi, le juge pénal doit se prononcer sur une question apparemment  loin de ses bases  : le tribunal correctionnel de Paris va devoir dire si la politique d’entreprise menée par France Télécom entre 2007 et 2010 est constitutive d’un harcèlement moral sur l’ensemble de ses 120.000 salariés à l’époque des faits. 35 personnes avaient mis fin à leurs jours.

Durant les deux mois d’audience cet été, le tribunal a écouté  les témoignages des victimes et de leurs familles venues crier leurs douleurs ainsi que la défense des ex-dirigeants, dont Didier Lombard. Mais comment juger une politique managériale ? Pour tirer les fils de la chaîne de responsabilité, avocats de la défense et des parties civiles se sont battus à coups de rapports, notes et comptes rendus . A l’issue de ces semaines d’émotions et de colères exprimées à la barre, le parquet a dénoncé dans son réquisitoire des « habillages » servant à mettre en oeuvre une « politique de harcèlement managérial ». « Le but de ce procès n’est pas de porter un jugement de valeur sur vos personnes, mais de démontrer que l’infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d’entreprise, par l’organisation du travail et [être] qualifiée de harcèlement managérial », expliquait la procureure Françoise Benezech le 4 juillet dernier. Le parquet a plus largement pointé du doigt ce langage managérial qui permet de « dissimuler » une volonté de déstabiliser les salariés.  Les peines maximales ont été requises  : 75.000 euros d’amende contre France Télécom, un an de prison et 15.000 euros d’amende à l’encontre de Didier Lombard, Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot, ainsi que 10.000 euros et huit mois de prison contre « leurs zélés complices » Jacques Moulin, Nathalie Boulanger et Brigitte Dumont.

Avant la mise en délibéré, la présidente Cécile Louis-Loyant a prévenu : le tribunal devra se détacher du poids de l’attente d’une jurisprudence nouvelle sur le harcèlement moral par une politique d’entreprise. Il jugera en droit. Néanmoins, quelle qu’elle soit,  la décision du tribunal correctionnel aura un impact considérable.

De nouveaux outils de régulation

Car au-delà des drames personnels des victimes, cette affaire est révélatrice d’un mouvement de fond discret, mais extrêmement puissant, d’une mutation majeure du contentieux social. Avocats, syndicats et juges élargissent leurs champs d’action. Ils vont puiser leurs arguments ailleurs que dans le seul Code du travail et utilisent une panoplie plus vaste, allant de l’investigation financière au droit pénal, en passant par les nouveaux instruments juridiques de négociation. Parallèlement, le public concerné s’étoffe :  des populations entières de hauts cadres , d’habitude plus policés, n’hésitent plus à attaquer leur employeur devant les tribunaux.

Avocats d’entreprises et avocats de salariés font le même constat. « Nous sommes aujourd’hui devant un paradoxe, il n’y a jamais eu autant d’accords d’entreprise. Et, pourtant, les conflits se radicalisent comme jamais », analyse Pascale Lagesse, avocate associée du cabinet Bredin Prat, qui conseille nombre de grandes organisations. « Le droit du travail n’est plus la seule ressource du règlement de la conflictualité sociale. Nous avons besoin de nouveaux outils de régulation », reconnaît Roger Koskas, avocat de plusieurs syndicats et organismes de représentation du personnel. Un accord qui part mal peut coûter cher à l’entreprise. Ainsi, Constellium a été condamné par la cour d’appel de Douai à verser 2,4 millions d’euros à 50 salariés du site de Ham dans la Somme licenciés « sans cause réelle et sérieuse » en septembre 2019. La société (ex-Alcan-Pechiney) avait conclu un accord avec les syndicats et supprimé en octobre 2011 une centaine de postes sur 200 sur le site. Elle avait proposé un plan de départs volontaires avec une indemnité majorée, auquel avaient adhéré 90 salariés. Au terme d’une longue bataille judiciaire de presque neuf ans, les anciens d’Alcan ont obtenu gain de cause. Les magistrats de la cour d’appel de Douai ont approuvé les syndicats qui reprochaient à l’employeur de ne pas avoir respecté ses obligations de reclassement interne, préalable à ce plan.

« Au fur et à mesure des années, les portes de la régulation sociale se sont fermées, le contentieux prud’homal s’est réduit. Parallèlement, la mondialisation des entreprises et le recours à toutes les astuces du droit des sociétés – comme la multiplication des entités juridiques – ont mis des écrans à la responsabilité. Résultat : les positions se durcissent. Nous sommes obligés d’aller chercher ailleurs la faute de l’employeur », reconnaît un syndicaliste. En trois ans, le contentieux prud’homal a chuté de 46 % selon la cour d’appel de Paris tandis que parallèlement le juge judiciaire étend son emprise. Il est désormais compétent pour des demandes de  contrôles des risques psychosociaux , surveillés jusque-là par le juge administratif.

Plusieurs réformes sont la cause de cette mutation : la création de la  rupture conventionnelle , la  barémisation contestée des indemnités prud’homales, l’augmentation des démarches administratives, etc. Résultat, « le contentieux file ailleurs », constate Francis Teitgen, ancien bâtonnier de Paris et habitué du contentieux pénal de l’entreprise. « Le droit pénal, le droit financier… sont désormais appelés en soutien du conflit social », précise-t-il.

Ainsi, les contentieux ne se bornent plus au seul périmètre géographique de l’usine ou du site en cause. En septembre 2019, Michelin a été condamné à verser 1,3 million d’euros aux salariés de l’usine de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) qui contestaient leurs licenciements. La cour d’appel d’Orléans a donné raison au conseil des prud’hommes de Tours d’avoir considéré « qu’un groupe de dimension mondiale ne doit pas être cantonné au secteur d’activité européen et que les informations limitées à ce secteur rendent le licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Des champs d’action élargis

Dans le même esprit, pour contester les licenciements chez Lee Cooper, les syndicats sont remontés jusqu’au fonds d’investissement américain Sun Capital Partners, qui possédait, via un holding basé à Amsterdam – Vivat Holding BV -, la célèbre marque de jean. « Les opérations contestables observées au sein du groupe » ont été faites « à l’encontre des intérêts de Lee Coper France » et « dans le seul intérêt de son actionnaire principal », Sun Capital Partners, écrivent les juges. Selon la cour d’appel, le fonds d’investissement n’avait « pris aucune disposition » pour remédier aux difficultés économiques que ses opérations ont engendrées. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation le 24 mai 2018.

« Les syndicats participent à leur façon et s’inscrivent dans le mouvement de refondation du capitalisme », veut croire Eva Joly. L’ancienne juge d’instruction, désormais avocate, a conseillé le comité d’entreprise ouest parisien de McDonald’s – composé en majorité d’élus Unsa et CGT. En 2015, celui-ci a déposé plainte pour blanchiment de fraude fiscale auprès du parquet national financier (PNF). Il mettait en cause des pratiques fiscales rendant « impossible » tout bénéfice, et donc tout intéressement des salariés. Selon « Challenges », McDonald’s serait en train de discuter avec les magistrats d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Cette  transaction pénale créée par  la loi Sapin II permettrait au géant du burger d’éviter le procès et de mettre fin aux poursuites judiciaires à son encontre en payant une forte amende. Même stratégie pour Conforama, où deux syndicats, la CFE-CGC et FO, et un collectif de salariés ont porté plainte contre X auprès du PNF, le 4 novembre dernier, pour « présentation de faux bilan, abus de bien social et atteinte aux bons fonctionnements des marchés financiers ». Les plaignants estiment que les irrégularités comptables du groupe sud-africain Steinhoff ont précipité les difficultés de l’enseigne de meubles, sur le point de supprimer 1.900 emplois en France.

Les conflits « traditionnels » n’ont pas disparu pour autant. Mais leur base s’est diversifiée. Le 13 novembre dernier, la Cour de cassation vient à nouveau de donner raison à un financier qui réclamait le paiement de bonus différés que lui refusait son employeur, une grande maison de Wall Street. Il n’est pas le premier à utiliser le droit français contre le droit américain. En juin 2019, dans une première affaire, Morgan Stanley s’est vu condamné à verser 1,4 million d’euros de bonus différés  à son ancien banquier vedette Bernard Mourad . Et, dans une affaire concernant six ex-dirigeants du Groupe Barrière, la Cour de cassation, en avril 2019, a décidé que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de bons de souscription d’actions (BSA) devait être considérée comme un avantage obtenu en contrepartie du travail et devait donc être soumise aux cotisations sociales. « Cette décision remet en cause les montants des managements packages, chèrement négociés par les hauts dirigeants », constate Pascale Lagesse.

Prévenir partout et à tout moment

Cette intensification du contentieux social n’est pas près de s’inverser. Tandis que la Cour de cassation est venue élargir la  notion de préjudice d’anxiété à toute substance nocive et toxique dans un arrêt du 11 septembre 2019 – intensifiant ainsi les risques d’alertes internes -, la directive européenne du 7 octobre augmente  le pouvoir et la protection des lanceurs d’alerte .

Risque pénal, risque financier… De  l’audit d’acquisition aux plans de restructuration, « il y a désormais de la part de l’employeur la nécessité d’anticiper le risque social », prévient Laurent Gamet, avocat associé du cabinet Flichy Grangé.

Valérie de Senneville @VdeSenneville, Delphine Iweins @DelphineIweins

Procès France Télécom : rappel des faits

Procès pour harcèlement chez France Télécom : l’heure de la décision

Après plusieurs mois de délibéré, les juges rendent aujourd’hui leur jugement dans l’affaire des suicides qui a atteint l’opérateur entre 2007 et 2010. Les enjeux sont tels que les juges savent déjà que, quelle que soit leur décision, celle-ci sera frappée d’appel.

Cécile Louis-Loyant ne se fait pas d’illusion. Quelle que soit la décision que la présidente et ses assesseurs rendront ce vendredi 20 décembre, elle sera immédiatement frappée d’appel « tant les enjeux sont grands ». Après plus de mois de délibéré, les juges devront dire si France Télécom et ses ex-dirigeants ont mis en place, entre 2007 et 2010, une politique managériale constitutive de harcèlement moral.

C’est une première. Car la décision devra certes réparer et dire le droit. Mais l’équation judiciaire est délicate dans cette affaire, où les faits reprochés portent sur l’ensemble du personnel de l’entreprise. Or, jusqu’alors, le principe en droit pénal voulait qu’un lien direct existe entre la victime et l’auteur du dommage. Ici, il est clair que, ni l’ex-PDG, Didier Lombard, ni les six autres hauts responsables prévenus n’ont « directement » harcelé moralement les victimes. Quid encore de la personne morale ?

Harcèlement managérial

« Le but de ce procès n’est pas de porter un jugement de valeur sur (les) personnes, mais c’est de démontrer que l’infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d’entreprise, par l’organisation du travail et (être) qualifiée de harcèlement managérial », avait précisé  le parquet dans ses réquisitions en demandant les peines maximales contre France Télécom et ses ex-dirigeants : 75.000 euros d’amende contre l’entreprise, un an de prison et 15.000 euros d’amende à l’encontre de Didier Lombard, l’ex-PDG, Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot, les anciens n° 2 et 3. Sans oublier 10.000 euros et huit mois de prison contre « leurs zélés complices », Jacques Moulin, Nathalie Boulanger et Brigitte Dumont. « Les peines encourues à l’époque sont si faibles qu’il faut demander le maximum » pour que la sanction ait un sens, avait expliqué la procureure.

Que décidera le tribunal, qui connaît le poids symbolique de son jugement ? Il devrait en tout état de cause fortement motiver sa décision car cette approche collective du harcèlement moral est inédite en droit. Peut-être essayera-t-il de condamner pour exprimer  l’écoute envers les victimes , tout en expliquant très précisément les conditions très particulières, afin d’éviter  une généralisation non maîtrisée de cette jurisprudence qui pourrait atteindre toutes les entreprises qui entreprennent un plan de réorganisation et de modernisation de leurs structures et de leurs personnels.

Rationalité confondante

Pendant l’audience, les ex-managers ont souvent opposé une rationalité confondante face à la souffrance de certaines victimes. Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange, qui représente France Télécom au procès, a reconnu qu’il était « indéniable qu’il y ait eu de la souffrance chez certains de nos collaborateurs. […] Mais nous contestons un harcèlement moral généralisé ». Il avait annoncé qu’Orange allait lancer  une « discussion » avec les organisations syndicales pour créer une commission d’indemnisation des victimes, « quelle que soit la décision » du tribunal.

Au coeur du procès, les plans Next et Act visant à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l’objectif de 22.000 départs et 10.000 mobilités. Pour les prévenus, il devait s’agir de départs « volontaires »« naturels ». En 2005, France Télécom était « en péril », l’entreprise, surendettée, subissait une concurrence « agressive », des évolutions technologiques « extrêmement rapides ». Trente-cinq personnes s’étaient suicidées.

Valérie de Senneville

 

 

 

Décryptage du procès France Télécom. Suite de l’article « Le procès France Télécom, une épée de Damoclès pour les entreprises ». Fin de l’audience le 12 juillet.

Procès France Télécom : de la difficulté de juger une politique managériale

Au bout de six semaines d’audience et l’arrivée des premiers témoignages des familles de victimes, la fatigue des prévenus ne leur permet plus de se défiler et l’émotion explose, enfin

Par Valerie De SENNEVILLE

La présidente fait descendre derrière elle un immense écran sur lequel se projette un organigramme du management du groupe France Télécom en 2007. Une douzaine d’entrées horizontales et autant de verticales, un embrouillamini de lignes aux titres abscons. A la barre, Brigitte Bravin-Dumont. En 2006, elle est directrice du programme Act (le volet social du plan Next qui définissait la transformation de l’entreprise) et en septembre 2010, directrice adjointe des ressources humaines groupe. Comme six autres cadres, dont l’ex-PDG Didier Lombard,  elle est renvoyée devant le tribunal pour harcèlement moral ayant mené à la crise des suicides entre 2007 et 2010 au sein du groupe.

« Alors vous voyez, tente-t-elle d’expliquer au tribunal, les DRH métiers étaient rattachées aux directions métiers… Dites-moi si je suis claire ». « Mmmmh » répond la présidente Cécile Louis-Loyant qui ne semble pas convaincue. La présidente s’interroge sur l’organisation matricielle de l’entreprise et sur la chaîne de responsabilités entre les directions opérationnelles et les directions métiers et supports. Une avocate de Didier Lombard, Bérénice de Warren, fait remarquer que toutes les entreprises de la taille de France Télécom fonctionnent ainsi. La présidente acquiesce, « mais reconnaissez que c’est compliqué …» Oui.

Et soudain, on comprend : ce procès exemplaire par son ampleur risque de se révéler frustrant. Parce que l’on est dans un tribunal qui est là pour appliquer la règle de droit pénal et qu’il lui faudra relier les actes, aussi dramatiques soient-ils, à chacun des prévenus.  Comment juger une politique managériale ?

« Détabouiser l’intérim interne »

Cela fait six semaines que l’audience a commencé et la présidente ne laisse rien passer au risque de la saturation. Elle plonge en apnée dans le fonctionnement d’une grande entreprise de plus de 120.000 salariés à l’époque des faits.  Elle doit décortiquer et analyser. En apprendre aussi le langage. Ainsi, ce dialogue entre Cécile Louis-Loyant et l’un des prévenus Jacques Moulin. En 2007, il était directeur territorial Est. A la barre il parle du « kick-off » du projet. « Ca veut dire quoi ? » l’interrompt la présidente « ha, heu oui, : lancement ». Le tribunal projette donc la note « Time to Move » qui parle « déstabilisation positive pour les populations sédentaires » et de « détabouiser l’intérim interne » (sic). « J’admets que les termes étaient mal choisis », reconnaît Jacques Moulin.

Orange/France Télécom ou l’équation délicate de la défense de l’entreprise

Pour arriver à tirer les fils de la chaîne de responsabilité, avocats de la défense et des parties civiles se battent à coups de rapports, notes et comptes rendus. Voilà donc la direction qui produit « son » rapport. Il précède de quelques mois le rapport Technologia qui, en décembre 2009, allait tirer la sonnette d’alarme sur le malaise des salariés de France Télécom. « Le questionnaire me renvoie le message d’une société qui va dans le bon sens », soutient Louis-Pierre Wenès, l’ex-numéro 2 de l’opérateur. Plus de 29.000 personnes avaient répondu, de manière anonyme. Parmi les résultats : 86 % des managers et 71 % des collaborateurs estimaient avoir progressé dans leur métier en un an.

« Vous pleurez Monsieur Lombard ? »

Mais au bout de six semaines et l’arrivée des premiers témoignages des familles de victimes, la fatigue des prévenus ne leur permet plus de se défiler et l’émotion explose, enfin. Pour la première fois, Didier Lombard cède. A la barre, il raconte la gorge serrée cette visite en 2009 à Cahors. « Vous pleurez Monsieur Lombard ? », demande la présidente. « Oui, on pense que je n’ai pas de coeur mais ce n’est pas vrai ». Avant lui, Louis-Pierre Wenès s’était emporté, la voix s’était fêlée : « je ne suis pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche : les gens dont on parle, j’en ai dans ma famille. J’ai un profond attachement à la vie et au respect de l’homme », avait-il dit.

Les auditions des parties civiles, familles de victimes ou salariés ayant traversé un lourd épisode dépressif vont maintenant se poursuivre. Jusqu’à la lie. Mais des larmes, aussi attendues soient-elles, ne prouvent pas une culpabilité. L’audience devrait se finir le  12 juillet.