Alors que la pandémie met à l’arrêt une partie des économies mondiales – et notamment occidentales -, le fonctionnement des supply chain est bouleversé. Les ruptures et les pénuries se succèdent à un rythme inédit, mettant en lumière la fragilité de tout un système. La notion d’espace et de temps doit être questionnée. Elle va amener dans les prochains mois à de profondes modifications, car il faudra bien tirer les leçons de cet événement inédit, spectaculaire et dramatique.
La pandémie met à l’arrêt une partie des économies, le fonctionnement des supply chain est bouleversé. Les ruptures et les pénuries qui se succèdent mettent en lumière la fragilité de tout un système. La notion d’espace et de temps doit être questionnée. Elle conduira à de profondes modifications, car il faudra bien tirer les leçons de cet événement inédit, spectaculaire et dramatique.
Le temps…
Ce fameux temps réel que les supply chain managers et autres dirigeants vantaient il y a peu, se révèle aujourd’hui bien chahuté. Ainsi, les sources d’approvisionnement, les unités de production et les circuits de distribution ont été mis en réseau à l’échelle de la planète. Hyperconnectés, ils permettent en quasi-temps réel de situer les stocks, les marchandises en transit, à coup de block chain, de RFID (Radio Frequency Identification) et autre full web.
Sauf que cette force est aussi le point faible des supply chains hypermondialisées.
En effet, la situation actuelle donne raison à celles et ceux qui, depuis des années, pointent du doigt parfois les risques, parfois l’absurdité de certaines décisions de (dé)localisation, de gestion des flux.
L’espace et le temps …
Des produits font le tour de la planète là où le bon sens appellerait à un design des supply chain plus compatibles avec les impératifs de gestion des risques, de maîtrise des ressources ou de diminution de l’empreinte carbone par exemple. Il aura fallu cette crise brutale pour que, la touche pause enclenchée, nous regardions effarés ce système dont la logique – peu remise en cause hier – apparaît aujourd’hui comme folle.
Des supply chain pharmaceutiques en passant par l’agroalimentaire, le textile, l’électronique, l’automobile, le luxe par exemple : ce sont des pans entiers de nos économies qui sont touchés (1).
Alors, retour vers le futur ? Allons-nous revoir les notions d’espace et de temps le jour d’après Covid-19 ?
Pour cela, il faudra avec lucidité, secteur par secteur, à l’échelle nationale et supranationale (l’Europe), prendre des décisions prenant en compte à la fois la sécurisation des filières, leur rentabilité économique et leur impact écologique. Il n’est pas question ici d’ultra-protectionnisme et de fermeture des frontières : la Chine restera le principal pays producteur de terres rares, la France continuera à exporter ses vins et les Etats-Unis seront toujours leaders du Web. Non, il est question ici de réinventer des modèles de chaînes localisées à l’échelle d’un territoire (une région, un pays, un ensemble de pays proches des bassins de consommation) – ce que l’on appelle les relocalisations au sens large ou péricentrales (2). Ces mouvements ont déjà démarré, bien avant la crise du Covid-19. On peut aujourd’hui prédire que la source principale d’avantages concurrentiels des entreprises va résider sur leur capacité à maîtriser leurs chaines et donc sur leur résilience, leur plasticité, et leur agilité. Ainsi, les entreprises capables de continuer leur activité ou demain de la redémarrer rapidement sont celles qui ont préalablement développé un schéma industriel équilibré, c’est-à-dire intégrant dans une même zone de consommation les unités d’approvisionnement, de production et de logistique. Pour les autres, il va s’agir de s’inspirer de ces modèles : le made-in-France ou in-Europe va reprendre des couleurs.
Les mantras d’hier ne seront peut-être plus ceux de demain…
Les flux tendus et le juste-à-temps montrent leurs limites (mais à d’autres occasions, ces limites avaient déjà été testées : catastrophes naturelles, grèves… avec peu de leçons tirées). Le fait que des secteurs stratégiques comme l’industrie pharmaceutique aient, par la délocalisation, insécurisé leurs approvisionnements en composants stratégiques en dit long sur la myopie généralisée des décideurs. Le coût d’achat a ainsi été privilégié au coût global – le contraire de ce que nous sommes nombreux à enseigner à nos étudiants !
L’absence de main d’œuvre qualifiée ou son trop faible nombre dans certains secteurs va nécessairement être un sujet fort : la formation professionnelle va avoir demain son rôle à jouer, la mobilité de la main d’œuvre et sa sécurisation seront aussi à questionner, y compris pour des activités demandant peu de qualification (la pénurie de saisonniers pour récolter les fruits et les légumes s’annonce déjà).
Enfin, le bilan carbone des entreprises va peut-être (enfin ?) être pondéré plus fortement, encourageant ainsi, autant que faire se peut, les circuits courts. Car, plus largement, le développement durable et la RSE peuvent être des lignes directrices pour reconstruire des modèles économiques solides, plus respectueux de l’environnement et des relations sociales.
(1) KYU Associés, Covid-19 : Impacts et résilience des Supply Chain – 17 Mars 2020
(2) Fernandes, V. (2012). Reverse offshoring and value creation: a theoretical framework. The European Business Review, sept-oct, 92-96.
Par Valérie Fernandes – La Rochelle Business School Excelia Group, professeur, pôle supply, purchasing & project management, doyen du corps professoral