La dernière « affaire » Nestlé, dite des eaux minérales a été l’occasion dans ma tribune publiée dans Le Monde le 14 octobre 2024 et partagée sur mon blog puis dans des contenus publiés sur mon blog de :
Ces quatre profils de FRM invisible, néo-institutionnelle, Business Partner et leurs rôles sont le résultat de mon travail de recherche ; ils sont à retrouver dans mon dernier article de recherche.
Revenir aujourd’hui dans ce dernier opus sur le concept d’amplification des risques que les derniers rebondissements de « l’affaire » font revenir en force (Opus 3) :
Qu’est-ce que l’amplification des risques ?
Quels sont les deux principaux amplificateurs de risque ?
Du dysfonctionnement du régulateur-législateur comme amplificateur de risque à un possible retour en force de celui-ci et au renchérissement induit de l’impact du risque éthique pour le groupe ?
Qu’est-ce que l’amplification des risques ?
Le concept d’amplification sociale du risque (Kaperson et al.,1988) suggère que les risques sont amplifiés et instrumentalisés par des institutions telles que le régulateur-législateur et les médias. (Pidgeon et al, 2003). La manière dont les évènements sont perçus, classifiés, dramatisés, rendus visibles par ces institutions détermine leur importance dans les agendas de la gestion des risques.
Quels sont les deux principaux amplificateurs de risque ?
Le rôle du régulateur-législateur a commencé en France avec la Loi de Sécurité Financière. Sur fond de scandales et de crise, les interventions du régulateur-législateur ont amené les entreprises à renforcer les systèmes de contrôle interne et de gestion des risques : loi du 3 juillet 2008, ordonnance du 8 décembre 2008 ; rapport du 8 décembre 2009 de l’AMF ; loi Sapin II du 9 décembre 2016…jusqu’aux récentes directives européennes concernant l’environnement, NRFD et CRSD par exemple.
Les couches du millefeuille n’ont cessé de « s’épaissir » : bloc constitutionnel, bloc conventionnel, bloc législatif, principes généraux du droit, bloc réglementaire.
Le contenu plus ou moins structurant des mesures prises par le régulateur-législateur est bien souvent à l’origine des logiques de sur-réaction ou de sous-réaction des entreprises.
Les médias (« traditionnels », réseaux sociaux, alternatifs) jouent un rôle essentiel dans la diffusion d’informations et la propagation d’attitudes. Les contenus diffusés ont une influence déterminante sur l’opinion publique et son comportement. Les médias tendent à amplifier la notion de responsabilité du dirigeant en cas de négligence (au regard du principe de précaution / bloc constitutionnel) et les logiques de compensation.
Cet amplificateur de risques est détaillé p.65 à 72 de notre ouvrage (lien ci-dessus).
Du dysfonctionnement du régulateur-législateur comme amplificateur de risque à un possible retour en force de celui-ci et au renchérissement induit de l’impact du risque éthique pour le groupe ?
Comme je l’ai écrit dans la tribune du Monde : « Tous les amplificateurs de risque étaient présents : intervention du régulateur européen, fort écho dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux, saisie des associations de consommateurs. Mais l’absence de préjudice avéré à la santé publique, la prudence du gouvernement soucieux de préserver deux mille emplois et embarrassé par les négociations menées il y a trois ans avec le groupe autour d’un plan d’actions sous contrôle des autorités sanitaires, une gestion de crise meilleure (aveu et mea-culpa des dirigeants) que lors du scandale Buitoni lui ont permis d’éviter une catastrophe économique, un scandale et de lourdes sanctions. Mais le groupe n’aura peut-être pas la même chance avec la mise en examen en juillet de Nestlé France et de sa filiale fabriquant les pizzas Buitoni contaminées. »
La commission d’enquête lancée par le Sénat le 6 novembre 2024 et relayée par les médias remet le régulateur-législateur au centre de « l’affaire » et relance la question du renchérissement du coût et donc de l’impact de celle-ci sur le groupe Nestlé.
L’article ci-dessous détaille ce nouveau rebondissement et met en évidence les deux amplificateurs.
A suivre.
Le Sénat lance une commission d’enquête sur le scandale des eaux de Nestlé
La Chambre haute a validé mercredi soir la création d’une commission d’enquête sur « les pratiques des industriels de l’eau embouteillée » et « les défaillances administratives et gouvernementales dans le contrôle des autorités publiques en la matière ». L’affaire va « au-delà de tout ce qui avait été imaginé », selon les sénateurs.
Le Sénat juge nécessaire de « confronter publiquement Nestlé Waters et tous les autres industriels en cause ».
Nouveau rebondissement dans l’affaire du scandale des eaux en bouteille de Nestlé. « Cela va au-delà de tout ce qu’on avait imaginé. On parle désormais de contamination après traitement. On doit faire le point sur l’ensemble des risques liés à l’utilisation massive de techniques prohibées », déclare le Sénat dans un communiqué.
C’est pourquoi la chambre a décidé dans la soirée du 6 novembre de créer une commission d’enquête sur le sujet. Elle « fait suite à l’utilisation du droit de tirage du groupe socialiste, écologiste et républicain, décidée dans le sillage des enquêtes journalistiques de Mediacités, Radio France, ‘Le Monde’ et Mediapart, ainsi qu’à l’impulsion du sénateur de l’Oise, Alexandre Ouizille, et de ses collègues », indique le Sénat. Alexandre Ouizille sera le rapporteur de la commission d’enquête.
Pour ce dernier, l’intérêt de la commission d’enquête ne cesse de se renforcer. « On pensait n’avoir affaire qu’à une tromperie commerciale, mais non. C’est l’hydre de Lerne. Chaque révélation fait surgir une nouvelle tête : une dimension sanitaire d’ampleur s’affirme ainsi qu’une menace écologique d’ampleur pour la ressource. »
Le Sénat juge nécessaire de « confronter publiquement Nestlé Waters et tous les autres industriels en cause ». En effet, « une autre dimension économique s’affirme de plus en plus : celle des risques sanitaires, économiques, écologiques et administratifs liés à l’exploitation de l’eau embouteillée en France ». Pour le sénateur Ouizille, « la révélation de présence d’arsenic dans les eaux minérales naturelles de Nestlé Waters à des niveaux de concentration non réglementaires change tout ».
Quatre missions
Dans ces conditions, le Sénat fixe quatre missions à la commission d’enquête. Elle devra examiner l’ensemble des risques, surtout sanitaires, économiques et écologiques, liés aux techniques interdites utilisées par les industriels de l’eau en France.
Ensuite, elle examinera avec soin la connaissance qu’avaient les membres du gouvernement de ces pratiques et les réponses entreprises à la suite du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juillet 2022 et des rapports des agences régionales de santé (ARS), de la DGCCRF, de l’Anses et d’autres services d’exploitation de l’eau en bouteille en France.
« Les ministres Pannier-Runacher, Véran et Borne doivent rendre des comptes publiquement devant le Parlement et devant les Français. C’est bien beau de demander des rapports, mais si c’est pour les enterrer dans la foulée, cela pose des questions sérieuses », dit encore le Sénat.
La commission d’enquête s’interrogera aussi sur les ordres donnés aux agences de contrôle, la disparité d’action des ARS, selon la localisation des sources. Ainsi que sur l’absence de sanctions malgré les alertes de la DGCCRF. Elle se penchera enfin sur « l’accaparement des sources par des acteurs industriels et les impacts potentiels de cette exploitation sur la durabilité de la ressource ».
Sur le premier jugement de culpabilité d’acte de concurrence déloyale suite à une violation du RGPD.
Non-respect du RGPD / concurrence déloyale
Ayant constaté une violation du RGPD (absence de privacy policy notamment), le tribunal juge que « tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induisant nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur, [la défenderesse] s’est rendue coupable d’acte de concurrence déloyale ».
Le principe de la concurrence déloyale engendrée par la violation d’une norme n’est certes pas neuf, mais il est affirmé avec force et appliqué pour la première fois concernant la RGPD.
Dans un litige commercial, le tribunal constate l’absence de charte vie privée, ce qui caractérise une violation du RGPD. Il juge tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induisant nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur, la défenderesse s’est rendue coupable d’acte de concurrence déloyale.
L’histoire est, au départ, banale :
PLAISANCE EQUIPEMENTS est une entreprise familiale française active dans le secteur de la réparation de machines agricoles. Elle est titulaire d’une marque verbale de l’Union européenne et de deux brevets.
Une société de droit néerlandais A.T.W.T fabrique des pièces d’usure adaptables, notamment des pièces destinées à des machines agricoles. Ses produits sont distribués en France par une société CARBTECH.
PLAISANCE considère que les produits commercialisés en France par CARBTECH violent sa marque et ses brevets.
L’assignation est longue comme le bras et soulève plusieurs arguments :
Contrefaçon de brevet ;
Contrefaçon de marque ;
Concurrence déloyale par manquement à la règlementation.
Nous ne passerons en revue que quelques-uns des arguments.
Google Adwords
La marque est-elle contrefaite par l’utilisation de Google Adwords ?
Rappelant la jurisprudence de la CJUE, le tribunal rappelle que « l’utilisation dans le programme Adwords de Google de mots clés même constituant la marque d’un concurrent n’est pas interdite en soi et ne constitue pas du seul fait de cette utilisation une contrefaçon de marque. Elle n’est illicite qu’en cas de confusion effective dans les résultats affichés entre les produits du titulaire de la marque et ceux du concurrent, c’est-à-dire lorsque les résultats de la recherche ne permettent pas ou seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers. »
Le tribunal constate qu’une recherche dans Google sur les termes « marteau pour broyeur PLAISANCE » propose en premier choix d’accéder au site « carbtech.fr ». Le lien est libellé « marteau pour broyeur [Localité 7] – Pièces Haute Résistance HRT » et, en-dessous, il est indiqué « Votre partenaire contre l’usure marteaux pour broyeur [Localité 7] ».
Le tribunal juge que l’utilisation du terme « partenaire » et de la préposition « pour » associée au fait que c’est bien le site de la défenderesse qui est affiché, est de nature à permettre à l’internaute moyen d’être éclairé sur l’identité de ce site, étant précisé que celui-ci est au cas d’espèce non un consommateur lambda, mais un professionnel utilisant des engins à broyer et qu’en cette qualité, il connaît le marché des pièces de rechange.
La plaignante fait valoir que la société CARBTECH ne respecte ni la réglementation applicable à un site internet marchand, ni le droit de la consommation, ni le RGPD, et qu’étant en concurrente sur le « marché des pièces d’usure », les manquements à la réglementation en vigueur sont générateurs d’une rupture d’égalité dans la concurrence, indépendamment de tout risque de confusion, qui constitue une faute.
Le tribunal approuve :
« La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l’article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur.
Constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une règlementation dans l’exercice d’une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur (Cass. Com., 17 mars 2021, no01-10.414).
Par ailleurs et comme le relève justement la demanderesse, une situation de concurrence directe ou effective n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale, qui exige seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice (Cass. Com., 13 mai 2016, no14-24.905). »
Le tribunal constate qu’il manque des informations obligatoires sur le site web, mais surtout que « la société CARBTECH procède à une collecte de données à caractère personnel portant notamment sur le nom, l’email et le numéro de téléphone des personnes concernées sans fournir aucune information sur les conditions de ce ou ces traitements et en se limitant en réalité à un paragraphe d’information dans l’onglet ‘mentions légales’ ».
Le tribunal critique cette situation : « aucune charte de confidentialité n’est cependant mise à la disposition du public, le lien dédié renvoyant en réalité à une page d’erreur comme cela ressort du procès-verbal de constat d’huissier dressé le 25 janvier 2019. »
Au regard de l’ensemble de ces éléments et dans la mesure où tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur, il convient de juger que la société CARBTECH s’est rendue coupable d’acte de concurrence déloyale au préjudice de la demanderesse.
Commentaires
Le principe de la concurrence déloyale qui découle de la violation d’une loi ou d’une règlementation n’est pas neuf.
Ce qui est novateur, en l’espèce, c’est le caractère systématique de l’avantage concurrentiel indu : pour le tribunal, « tout » manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit « nécessairement » un avantage concurrentiel indu pour son auteur. La combinaison des termes « tout » et « nécessairement », crée un mécanisme redoutable dans lequel la plus petite faute pourrait avoir des conséquences incontrôlables. Il faudra encore attendre un peu pour voir si cette formulation se généralisera dans la jurisprudence.
Rappelons qu’en Belgique, le juriste dispose de l’article VI.104 CDE qui répond à la même logique mais permet précisément une approche au cas par cas : est interdit « tout acte contraire aux pratiques honnêtes du marché par lequel une entreprise porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’une ou de plusieurs autres entreprises ». Les tribunaux font de longue date une interprétation très large de cette disposition, qui permet de sanctionner efficacement les manquements à la loi.
Article intéressant. Qui peut être élargi à de nombreuses lois et réglementations.
J’écrivais dans un article de recherche « La naissance de la fonction risk manager », revue Management & Avenir, n°55, juillet-août 2012 : « A l’origine de la création de la FRM, les lois et les réglementations, par leur contenu peu structurant – la LSF ne définit explicitement ni périmètre, ni référencement utilisable, ni démarche concrète de mise en oeuvre du rapport sur le contrôle interne, ni sanction en cas de manquement. Il faudra attendre 2006 et la publication de deux recommandations de l’AMF pour mieux cerner l’obligation faite aux entreprises – ont induit des logiques de sur-action et de sur-référence à des procédures. » Dans l’article « Principe de précaution » de l’Encyclopédia Universalis est écrit : « l’application du principe de précaution encadrée par des normes dont le contenu est déterminé après coup selon le contexte est à l’origine des mêmes dérives. »
Merci au Journal du Management juridique d’entreprises de relayer les contenus de mon blog (https://gestiondesrisques.net/) quand ceux-ci sont de « nature » juridique.
Un post de Muriel Cluny, Déléguée générale ALEARISQUE, intitulé « Une mission ministérielle pour 3 personnalités : Quels sont les enjeux et évolutions du système assurantiel français face aux risques climatiques ? », est à l’origine du thème des semaines à venir.
Je vous propose :
📌Une contextualisation avec une définition du risque climatique, son classement dans les préoccupations des entreprises, une lecture à partir des facteurs mis en évidence dans mes travaux qui explique qu’il soit aujourd’hui une variable stratégique de la réflexion des organisations et enfin la rubrique à lire ou relire sur le blog avec les liens vers des articles précédents (23 juillet 2023).
Cette contextualisation conduit à s’interroger sur la nouvelle logique de transfert du risque climatique : la réticence des compagnies d’assurances à assurer le risque climatique rend nécessaire la mise en place d’une démarche de gestion des risques par les entreprises.
☂ Des éléments de réflexion, à partir de deux articles, sur la prise en charge du risque climatique par les assurances et la question de son assurabilité (7 juillet 2023).
👉 Un article et un rapport à lire pour lui préférer ou a minima lui adjoindre un changement de paradigme et la mise en œuvre orchestrée par un Risk Manager corporate d’une démarche de gestion du risque climatique (21 juillet 2023).
RISQUE CLIMATIQUE : OU EN ETES-VOUS ? 🙈 ? 🙉 ? Plus ? CONTEXTUALISATION
📌 De quoi s’agit-il ?
La Task Force on Climate related Financial Disclosure (TCFD) identifie deux catégories de risques liés au changement climatique.
Les risques physiques :
« Ceux résultant des dommages directement et indirectement causés par les aléas climatiques (sur les actifs de l’entreprise et de sa chaîne d’approvisionnement et plus largement de son écosystème). »
Les risques et opportunités de transitions écologiques :
Les risques sont « ceux induits par la transition vers une économie bas-carbone et portent sur le modèle d’activité et son évolution. »
La TCFD n’oublie pas la dimension positive du risque en identifiant également « les opportunités de développement technologique et d’innovation, d’ouverture à de nouveaux marchés, produits ou services, d’une meilleure résilience de l’entreprise, de développement de nouvelles sources d’énergie, d’optimisation des ressources. »
📌 Quelle place dans les préoccupations des entreprises ?
que les catastrophes naturelles et le changement climatique sont toujours dans le Top Ten. L’année a été marquée par l’ouragan Ian, une des tempêtes les plus puissantes qui aient frappé les États-Unis, mais aussi par des canicules, des sécheresses et des tempêtes hivernales record. Les pertes assurées dépassent les 100 milliards de dollars. Ainsi, ces risques figurent encore aux sept premières places du classement mondial ;
qu’ils sont en baisse tous les deux 〽!
Les catastrophes naturelles (ex : tempêtes, inondations…) préoccupent 19% des entreprises contre 25% en 2022. De la 3ème place à la 6ème place.
Le changement climatique préoccupe 17% des entreprises. De la place 6 à la place 7.
📌 Pourquoi est-il devenu une variable stratégique de la réflexion organisationnelle des entreprises ?
Un risque potentiel d’une ampleur inédite :
il sort du champ d’investigation des entreprises et du champ de compétences des experts qui n’ont ni la connaissance, ni l’expérience pour répondre à un avenir qu’ils ne connaissent pas ;
son impact n’est pas encore évalué ; celui-ci est « à tiroirs » intervenant à tous les niveaux.
Un risque subjectif.
Il existe une perception différente selon les individus.
Un risque que les compagnies d’assurances sont réticentes à assurer, obligeant les entreprises à le gérer elles-mêmes.
Géraldine Dauvergne (17 mai 2023 ; Argus de l’Assurance) titre « Risques naturels : des zones bientôt inassurables ? »
« Certains assureurs refusent désormais de couvrir les biens menacés de manière certaine par les inondations, les submersions marines ou la sécheresse. Et d’autres risques climatiques potentiellement inassurables émergent. L’érosion côtière, dont la destruction de l’immeuble Le Signal, en Gironde, est devenue le symbole, menace ainsi jusqu’à 50 000 logements et 750 entreprises d’ici à 2100. »
Carte d’exposition des formations argileuses au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols.
En toute discrétion, les assureurs ont cessé de couvrir le syndicat intercommunal Ter’ Bessin, sur la côte normande, contre les risques d’inondation… Ce territoire […]
Un risque amplifié par le régulateur-législateur :
Au niveau européen :
Accords de Paris (2015)
Pacte Vert pour l’Europe (2019)
SFDR (2019)
Règlement Taxonomie verte (2020)
Directive CSRD (2022)
Au niveau national :
Loi relative à la Transition Ecologique par la Croissance Verte (2015)
Loi Energie Climat (2019)
Loi Pacte (2019)
Loi Climat et Résilience (2021)
Arsenal auquel il convient d’ajouter : le reporting financier et extra financier et les normes internationales.
📌 Lire ou relire
Dans l’ouvrage « RISK MANAGEMENT. ORGANISATION ET POSITIONNEMENT DE LA FONCTION RISK MANAGER. METHODES DE GESTION DES RISQUES. »,
CH I Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager, Amplificateur de risque 1 : le régulateur, législateur, p. 53-65.
Je vous propose aujourd’hui pour nous tourner vers l’avenir et clôturer notre séquence sur la loi sur le devoir de vigilance :
📌 Les premiers retours sur le texte de la commission des affaires juridiques du Parlement européen voté en plénière le 1er juin.
Le Parlement européen vient de voterce jeudi 1er juin,par 366 voix contre 225, en faveur d’un net durcissement de la directive sur le « devoir de vigilance » adoptée l’an dernier par la Commission européenne. Amendes jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires, « name and shame », réparations aux victimes…
Devoir de vigilance : les multinationales responsables en Europe jusque dans leurs filiales
Le Parlement européen a voté jeudi 1er juin sa position sur de nouvelles règles visant à intégrer les droits humains et l’impact environnemental dans la gouvernance des entreprises. Bas du formulaire
Le 24 avril 2013, le Rana Plaza s’effondre, tuant plus de 1 130 ouvriers du textile. L’une des catastrophes les plus meurtrières de l’histoire du travail. Ce bâtiment de huit étages situé en banlieue de Dacca, la capitale du Bangladesh, abritait des ateliers de confection, sous-traitants pour des grandes marques occidentales, comme Camaïeu, Auchan ou encore H & M. Un événement qui a posé une lumière crue sur la réalité des conditions de fabrication de nos vêtements.
Dix ans après, le Parlement européen a adopté ce jeudi un texte en lien avec ce drame : une directive sur la responsabilité des entreprises, ce qu’on appelle le devoir de vigilance. Un vote qui s’est joué à 366 voix pour contre 225 et 58 abstentions.
Un texte qui va plus loin que la loi française
Selon les nouvelles règles, les entreprises seront tenues de prévenir l’impact négatif de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, d’y mettre un terme ou de le limiter. Le travail des enfants, l’esclavage, l’exploitation du travail, la pollution, la dégradation de l’environnement et la perte de biodiversité sont notamment ciblés. Les entreprises seront également tenues d’évaluer l’impact environnemental et sur les droits humains de leurs partenaires commerciaux, notamment les fournisseurs et les transports, la distribution ou les ventes. Paradoxalement, le droit européen protégeait mieux nos données personnelles sur Facebook que les vies de millions de gens affectés par les activités des multinationales, explique Manon Aubry. L’objectif est de prévenir les dommages à l’environnement et les violations des droits des enfants et de permettre quand il y a des victimes que celles-ci puissent les poursuivre devant les tribunaux européens.
Les règles s’appliqueront aux entreprises de plus de 250 employés établies dans l’UE, disposant d’un chiffre d’affaires mondial supérieur à 40 millions d’euros, ainsi qu’aux sociétés mères employant plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires mondial est supérieur à 150 millions d’euros.
Un texte qui est beaucoup mieux que la loi française déjà en place selon l’eurodéputée insoumise qui estime sa portée extrêmement limitée , prenant en exemple le fait que très peu d’entreprises ont été poursuivies. Après ce vote au Parlement européen, les discussions doivent désormais avoir lieu en trilogue, un espace de discussions entre les représentants de la Commission, des États membres et des eurodéputés.
Fabien Cazeneuve. 1er juin 2023
Devoir de vigilance des multinationales : ce que va changer la directive européenne votée jeudi
Meilleure prise en charge des victimes, développement des sanctions… Bruxelles s’est positionnée en faveur d’un durcissement du « devoir de vigilance » auquel les entreprises sont soumises concernant les droits humains et environnementaux. Le texte doit encore être ajusté au cours de prochaines discussions.
Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza (Bangladesh), ayant coûté la vie à plus de 1 120 petites mains au service de marques de mode internationales, le Parlement européen a approuvé une proposition de directive visant à durcir le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits humains et d’environnement. Jeudi, les eurodéputés ont voté en faveur de son renforcement par 366 voix contre 225 et 58 abstentions.
Instauré en France en 2017 et à l’échelle européenne en 2022, ce devoir de vigilance rend les multinationales responsables de l’identification et de la prévention des risques humains et environnementaux d’un bout à l’autre de leur chaîne de production et de commercialisation. Quelles évolutions majeures va connaître ce cadre juridique, avant des discussions entre les représentants de la Commission, les États membres et les eurodéputés ?
Les nouvelles règles s’appliqueront aux entreprises composées de plus de 250 salariés, et cumulant 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, qui feront désormais l’objet de sanctions en cas de défaillance. La dernière version du texte se limitait jusqu’alors aux entreprises de plus de 1 000 salariés et de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Le principe du « name and shame » démocratisé ?
« Les amendes s’élèvent jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial. L’autorité européenne pourra dénoncer publiquement les entreprises fautives, sur un principe de ‘name and shame’ [pointer du doigt, NDLR], et opérer des retraits de produits sur le marché », expliquait à L’Obs l’eurodéputé français Pascal Durand, encarté S&D (groupe social-démocrate), avant que le Parlement n’accorde son feu vert à une proposition qui reste à ajuster au cours de débats.
L’Insoumise Manon Aubry, qui a participé aux négociations et portait le projet, a réagi à l’adoption du texte sur Twitter :
Les défenseurs du texte promettent des mesures de dédommagement et de réparations des victimes mieux définies. « Ce cynisme ne passe plus : on ne peut pas interdire le travail forcé chez nous, et importer des produits qui en sont le fruit », se désole Pascal Durand. L’exploitation, tout comme l’esclavage, le travail des enfants, la dégradation de l’environnement, les menaces sur la biodiversité ou encore la pollution sont placés au cœur de ce « devoir de vigilance ».
🏆Très heureuse d’avoir partagé avec des agents comptables mes connaissances dans le domaine du RISQUE
🗼 Comment ? Une présentation intitulée « Risque(s), une contextualisation ». Un objectif : apporter des éléments de compréhension / de contextualisation sur la thématique du risque et des risques. Que les agents comptables pourront mobiliser pour mieux appréhender les interventions des deux jours du colloque qui portent, elles, sur des risques ciblés. Risque épidémiologique, risque environnemental, risques psychosociaux, par exemple. Qu’ils pourront mobiliser pour identifier les risques auxquels ils font face : faux ordres de virement…
🗼 En trois points : Qu’est-ce que le risque ? Pourquoi et comment le risque est-il devenu une variable stratégique de la réflexion des organisations ? Comment caractériser le risque ?
🗼 Où ? Eux, à Dijon ; moi, à distance depuis Toulouse
🗼 Quand ? Le 1er juin 2023 ; dans le cadre du Colloque Risques, Responsabilités, Résilience de l’Association des Agents Comptables d’Universités et Etablissements (AACUE)
🗼 Pour qui ? Des agents comptables d’universités et d’établissements concernés par les risques et leur gestion car :
confrontés aux risques dans leur quotidien ;
placés en première ligne face aux nouveaux risques.
Un grand merci à Mr Morales, président de l’AACUE pour cette opportunité. Un grand merci aux agents comptables pour leurs questions.
📸 Une illustration et une analyse des insuffisances de la loi à travers l’exemple de TOTALENERGIES à travers deux articles :
Flash : le juge des référés se prononce sur le devoir de vigilance de TotalEnergies
Devoir de vigilance : des vertus du dialogue aux risques de la co-construction
Je vous proposerai début juin pour nous tourner vers l’avenir et clôturer notre séquence sur la loi française sur le devoir de vigilance
📌 Un point sur le texte de la commission des affaires juridiques du Parlement européen dont le vote en plénière est prévu pour le 1er juin.
Illustration et analyse des insuffisances de la loi : TOTALENERGIES
✅ Comme l’écrit très justement J.Ph Riehl sur LI, le devoir de vigilance impose le dialogue entre l’entreprise et ses parties prenantes. Or la décision du juge des référés du tribunal de Paris, rendue le 28 février dernier, apporte des éclaircissements sur les obligations des entreprises en la matière ; ils sont malheureusement encore insuffisants.
✅ Cette décision montre très justement l’ampleur de la tâche qui attend les juges et tous les acteurs du domaine de la vigilance. Si le législateur a ouvert la voie d’un nouveau domaine de responsabilité pour les entreprises, les incertitudes et lacunes restent très, voire trop, nombreuses. Le juge ne pourra pas toutes les combler.
✅ Aucune décision de fond encore rendue / décrets d’application pas publiés / pas de cadre / un premier jugement en référé qui apporte des lumières, encore insuffisantes sur les obligations des entreprises françaises. Ce constat ramène à notre analyse d’un contenu peu structurant des lois françaises dans le domaine de la gestion des risques qui induit des logiques de sur réaction et de sur référence aux procédures. Dans ses conséquences juridiques, il modifie le régime de responsabilité des dirigeants, sans que la sanction soit clairement établie.
Dans une certaine mesure, elles orientent la Fonction Risk Manager vers un rôle qui est d’assurer la légitimité de l’organisation vis-à-vis de son environnement. La seule certitude qu’ont les organisations est que ce serait bien pire si elles ne le faisaient pas.
L’enjeu pour la Fonction Risk Manager dans les grandes entreprises françaises est de cesser d’être une fonction de contrôle ou de l’être moins pour devenir un outil de management, en lien avec le plan stratégique. De passer d’une légitimité institutionnelle à une légitimité économique.
Lire ou relire sur ce sujet qui m’est cher :
Dans l’ouvrage « RISK MANAGEMENT. ORGANISATION ET POSITIONNEMENT DE LA FONCTION RISK MANAGER. METHODES DE GESTION DES RISQUES. », CH I Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager, Amplificateur de risque 1 : le régulateur, législateur, p. 53-65.
Sur Cairn Mon article de recherche sur la Aubry C., « La naissance de la fonction ‘risk manager’ en France », Revue Management et Avenir, n°55, septembre, 2012, p14-35.
✅ A LIRE : le commentaire de la décision de justice de la journaliste Olivia Dufour.
FLASH : Le juge des référés se prononce sur le devoir de vigilance de TotalEnergies
La décision du juge des référés du tribunal de Paris était très attendue : c’est la première fois en effet que la justice se prononce sur le tout nouveau devoir de vigilance des entreprises. La demande des associations contre TotalEnergies est rejetée au terme d’une ordonnance soigneusement motivée qui fournit les premières guidelines des procédures à venir dans cette matière nouvelle.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris vient de rendre son jugement en référé dans la première affaire relative à l’application par les entreprises de leur nouveau devoir de vigilance. Il s’agit d’une nouvelle obligation créée par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017. Celle-ci a inséré deux articles dans le Code de commerce (L225-102-4 et L225-102-5) aux termes desquels les entreprises d’une taille importante (plus de 5000/10 000 salariés) doivent établir et mettre en œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elles contrôlent. En d’autres termes, ces entreprises doivent identifier et faire en sorte de prévenir les risques d’atteintes graves que leur activité fait courir aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement. Le plan comprend une cartographie de ces risques, des procédures d’évaluation régulière, des actions d’atténuation, un dispositif d’alerte et un mécanisme de suivi.
Le juge parisien était saisi par plusieurs associations dont les Amis de la terre à l’encontre de TotalEnergies concernant un important projet en Ouganda de 10 milliards de dollars au lac Albert (Projet Tilenga, forage de 426 puits de pétrole dont certains dans un parc naturel) et le projet associé East Africa Crude Oil Projet (Eacop) : un oléoduc de 1443 km traversant la Tanzanie jusqu’au port de Tanga. Les associations dénoncent d’immenses risques environnementaux et climatiques, tandis que TotalEnergies assure qu’il a rempli toutes ses obligations de préservation de la nature et de relogement des populations.
Nous avions rendu compte de l’audience au cours de laquelle le tribunal avait souhaité être éclairé sur le devoir de vigilance par trois universitaires, invités en qualité d’amici curiae, le 27 octobre dernier (lire notre article ici).
L’ordonnance de référé rejette les demandes des associations dans une décision soigneusement argumentée qui éclaire sur le devoir de vigilance mais aussi sur le rôle du juge des référés dans ces toutes nouvelles procédures.
Nous publions ci-dessous le texte intégral de la décision prononcée ce mardi 28 février.
28/03/2023. Par Olivia Dufour. Journaliste
✅ A LIRE : les observations sur les ordonnances du TJ de Paris du 28 février 2023 par Stephanie Smatt Pinelli (Directrice Juridique Contentieux Groupe) & Yann Guilbaud (Directeur Juridique Groupe).
Devoir de vigilance : des vertus du dialogue aux risques de la co-construction
Aux termes de deux ordonnances très attendues rendues le 28 février 2023 (dont la motivation est identique), le Tribunal Judiciaire de Paris statuant en référé s’est prononcé pour la première fois sur l’application de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des entreprises multinationales, dans le cadre d’une affaire opposant plusieurs ONG à TotalEnergies.
Pour mémoire, le Tribunal avait été saisi en 2019 par plusieurs ONG françaises et ougandaises à l’encontre de Total Energies concernant la construction de deux projets majeurs en Ouganda (le forage Tilenga) et en Tanzanie (le projet EACOP – East African Crude Oil Pipeline), dont elles allèguent les risques graves d’atteintes à l’environnement, au climat et aux droits humains portant atteinte à la loi relative au devoir de vigilance. Dans le prolongement d’une mise en demeure adressé au Groupe pétrolier, les ONG sollicitaient du Tribunal qu’il enjoigne à Total Energies de se mettre en conformité avec les termes de la loi de 2017 « eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en œuvre effective ainsi que de sa publication » d’une part, et d’autre part, de suspendre la construction des projets litigieux, dans l’attente de l’octroi d’une « juste et préalable » compensation des populations expropriées. Avant de défendre la qualité et l’effectivité de son plan de vigilance et relever les limites des pouvoirs du juge des référés saisi, la société défenderesse soulevait l’irrecevabilité de l’action faute d’intérêt à agir et de qualité à défendre des associations, et des demandes portées à l’encontre de son plan publié en 2018 aujourd’hui dépourvues d’objet du fait de l’édiction de plans postérieurs pour lesquels le préalable de mise en demeure n’avait pas été respecté.
Suivant une motivation dont on peut saluer la rédaction, le Tribunal juge logiquement irrecevables les demandes formées par les ONG au motif principal de l’absence de concordance entre les termes de la mise en demeure adressée en mai 2019 et de l’assignation, outre l’existence de griefs formulés postérieurement n’ayant pas pu faire l’objet d’un dialogue entre l’entreprise et les ONG, ne statuant de ce ne fait pas sur le fond des demandes des ONG dont il juge qu’elles relèvent de la compétence du juge du fond. Néanmoins, ces ordonnances apportent un éclairage sur l’interprétation judiciaire de la notion de RSE et des pouvoirs du juge en matière d’application de la loi relative au devoir de vigilance. Elles apportent par ailleurs des indications sur les contours du devoir de vigilance des entreprises notamment quant au mode opératoire de l’élaboration du plan de vigilance dont le juge estime qu’il doit être « co-construit » entre les parties prenantes de l’entreprise et l’entreprise, interprétation dont on verra qu’elle ouvrira vraisemblablement, si elle devait être confirmée, la voie à de nombreux questionnements et débats sur l’étendue, les modalités et les effets de cette co-construction. Un autre apport important de ces ordonnances consiste dans l’incitation faite par le Tribunal de recourir aux modes alternatifs de résolution des litiges en matière de devoir de vigilance.
Pour introduire sa décision, le Tribunal donne une définition de la RSE en ces termes : « un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complémentée par un cadre légal et règlementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité». On y retrouve le glissement déjà beaucoup commenté entre la démarche volontaire (telle que relevant des premières applications législatives de la RSE telles que la loi NRE puis la loi Pacte) et le devoir dans ce qu’il a de plus contraignant.
Le Tribunal évoque par ailleurs la prolifération des législations nationales, amorcée par la France, pionnière en matière de vigilance, visant à la mise en œuvre des principes des Nations Unies et de l’OCDE sur de respect des droits humains et la coopération et le développement économique. Il en rappelle la portée extraterritoriale, faisant ainsi implicitement référence au projet de directive sur la diligence européenne qui prévoit de la consacrer expressément.
Le Tribunal rappelle ensuite les dispositions des article L 225-102-4 et 5 avant d’en dénoncer – à juste titre – le caractère insuffisamment précis et de rappeler l’impérieuse nécessité que soit publié un décret d’application. Il souligne ainsi notamment le caractère « général» des mesures de vigilance prévues par le texte, l’absence de « nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s’imposant aux entreprises concernées » mais aussi de « modus operandi, de schéma directeur ; d’indicateurs de suivi, d’instruments de mesure devant présider à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation par l’entreprise des mesures générales de vigilance pesant sur elle (…) » ou encore – faisant référence aux mécanismes de la conformité issus de la loi Sapin II – d’un « organisme de contrôle indépendant, ou moniteur, ou indicateurs de performance (…) pour évaluer ex-ante le plan de vigilance adopté par l’entreprise ou pour vérifier la réalité de l’exécution de ce post ex-post». Sur ce dernier point, le Tribunal semble ici encore faire appel à l’intervention du régulateur, cette fois-ci européen, dont on sait qu’il envisage la création d’une autorité de contrôle à l’instar de l’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations chargé de l’application de la loi allemande sur le devoir de diligence des entreprises dans les chaines d’approvisionnement (« Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz »), entrée en vigueur le 1er janvier 2023.
Le constat du Tribunal de l’imprécision de la loi est partagé. Elle est source d’une grande insécurité juridique pour les entreprises qui ne disposent pas de référentiels précis leur permettant de déterminer avec certitude l’étendue de l’obligation de vigilance qui pèse sur elles et les modalités de sa mise en œuvre. Les ordonnances du 28 février 2023 n’y répondent pas mais ont le mérite de rappeler la nécessité d’une intervention normative, à défaut de quoi le Juge ne pourra pas trancher les litiges qui lui sont soumis, sauf à se substituer – a posteriori – au législateur pour déterminer l’étendue de la responsabilité de l’entreprise, le cas échéant, ce qui n’est pas son rôle.
A la suite de ce constat, le Tribunal porte une attention particulière au mode opératoire de l’élaboration du plan et se livre à ce sujet à une interprétation extensive des intentions du législateur dont il relève qu’il aurait « expressément manifesté son intention de voir ce plan de vigilance élaboré dans le cadre d’une co-construction et d’un dialogue entre parties prenantes de l’entreprise et l’entreprise ». Le Tribunal voit dans cette co-construction et la pluralité des points de vue qu’il implique la garantie d’une « meilleure définition du périmètre de vigilance » d’une part et, d’autre part, celle d’une réduction considérable « des risques de contentieux mettant en cause la pertinence du plan si celui-ci a été défini et validé avec les parties prenantes ». Si ces ambitions sont nobles pour éviter l’activisme judiciaire, et si une coopération est indispensable pour réduire ces risques, la co-construction préconisée par le juge des référés va vraisemblablement poser une série de questions et de difficultés pratiques dans sa mise en œuvre et juridiques dans ses effets, notamment en termes responsabilité respective des parties prenantes et de l’entreprise en cas de désaccord sur les termes du plan. En effet, si celle-ci implique une approbation de tous les intervenants, quel serait alors leur part de responsabilité respective en cas d’échec de l’élaboration du plan ou de lacunes dans son contenu ? Comment, en pratique, gérer le désaccord, celui-ci pouvant intervenir à deux niveaux : entre les différentes parties prenantes entre elles d’une part, ou entre les parties prenantes et l’entreprise de l’autre, et faire converger les points de vue notamment sur ce qui concerne le périmètre de vigilance dont on sait qu’il est précisément le nœud du problème ?
Prenons l’exemple de mesures proposées par une partie prenante jugées « déraisonnables » ou disproportionnées par l’entreprise qui conduirait à une situation de blocage dans l’élaboration du plan, l’entreprise pourrait-elle en être tenue pour responsable ? Le cas échéant, cela reviendrait à considérer que l’entreprise est réduite à agir sous la contrainte, voire que les parties prenantes deviennent in fine les seules rédactrices du plan sans toutefois en assumer la responsabilité.
Au cas présent, et sans préjuger du bienfondé des demandes des ONG, aurait-il appartenu au juge du fond, d’établir dans son jugement la liste desdites mesures sur la base des suggestions des demanderesses (à savoir, parmi d’autres mesures, une réaffectation de la géographie du projet, une modification de l’ensemble des installations des sites concernées, la livraison de nourriture en quantité suffisante aux populations avoisinantes jusqu’18 mois après le versement de la compensation etc.)? A suivre la lettre de la loi, rien n’est moins sûr. En tout état de cause, en serait-il compétent à la fois du point de vue judiciaire et technique ? Ici encore cela est discutable. En tout état de cause, des prérogatives aussi élargies ne paraissent pas souhaitables et doivent être circonscrites à une injonction faite à l’entreprise récalcitrante, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures de vigilance raisonnables, la charge et la responsabilité de les définir, de les déployer et de les assumer lui appartenant en priorité. Si le dialogue est essentiel en la matière et une coopération effectivement souhaitable pour limiter les contentieux, encore faut-il que l’entreprise reste maîtresse de son plan et assume seule les conséquences de ses éventuels manquements.
C’est ici que l’incitation du Tribunal à recourir aux modes alternatifs de règlement des litiges prend tout son sens. En effet, si le juge consacre le mécanisme de la mise en demeure préalable à sa saisine, dont il juge qu’elle a vocation à « instituer une phase obligatoire de dialogue et d’échange amiable au cours de laquelle la société pourra répondre aux critiques formulées à l’encontre de son plan de vigilance et lui apporter les modifications nécessaires », son intention semble s’orienter vers l’instauration du recours à la médiation dès le processus collaboratif d’élaboration du plan, recours que dans le cadre de la procédure objet de cette Tribune les demanderesses ont systématiquement refusé.
9 mars 2023 / Le Monde du Droit / Stephanie Smatt Pinelli (Directrice Juridique Contentieux Groupe) & Yann Guilbaud (Directeur Juridique Groupe)
✅ Un bilan plutôt mitigé de la loi française sur le droit de vigilance en 15 minutes d’écoute.
Je vous proposerai dans quinze jours :
📸 Une illustration des insuffisances de la loi à travers l’exemple de TOTAL (18 mai 2023).
👉 Pour nous tourner vers l’avenir et clôturer notre séquence sur la loi française sur le devoir de vigilance un point sur le texte de la commission des affaires juridiques du Parlement européen dont le vote en plénière est prévu pour le 1er juin.
Un bilan plutôt mitigé de la loi française sur le droit de vigilance en 15 minutes
La loi sur le devoir de vigilance est une illustration parfaite de la notion d’amplification et du mécanisme de coercition. En effet, si le législateur a ouvert la voie d’un nouveau domaine de responsabilité pour les entreprises, les incertitudes et lacunes restent très, voire trop, nombreuses. Elle place les entreprises françaises dans l’incertitude juridique. Le cadre manque.
A écouter le podcast de Charlotte Michon en cliquant sur le titre ci-dessous.
« La loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance a créé une nouvelle obligation pour les grandes entreprises françaises de mettre en place une démarche effective pour identifier et gérer les risques d’avoir des impacts négatifs sur les droits humains et l’environnement, ces impacts pouvant être causés par les entreprises elles-mêmes, par leurs filiales contrôlées ou par leurs sous-traitants et fournisseurs avec lesquels il existe une relation commerciale établie.
6 ans après l’adoption de cette loi pionnière en Europe, Charlotte Michon et son invité le député Dominique Potier, rapporteur de cette loi à l’Assemblée Nationale, évoquent son bilan, et les enjeux liés à la future directive européenne sur le devoir de vigilance, qui devrait être adoptée courant 2023. Le monde de la finance et des banques sera-t-il intégré dans le périmètre de la directive ? La responsabilité des entreprises va-t-elle se limiter à la phase « amont » de la fabrication des biens et des services, ou également s’étendre à leur commercialisation et leur destination en aval ? Quelle sera la nature, le statut juridique et les fonctions de l’autorité administrative chargée d’accompagner les entreprises dans le cadre de la mise en œuvre de leur devoir de vigilance ? Tels sont notamment les points qui retiendront l’attention dans les débats à venir. »