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Procès France Télécom : analyse. Nouvel élargissement du périmètre de risques des entreprises. « Risque pénal, risque financier… De l’audit d’acquisition aux plans de restructuration, « il y a désormais de la part de l’employeur la nécessité d’anticiper le risque social »

Le procès France Télécom, symbole d’une nouvelle donne sociale

Exit le droit social « à la papa ». Avocats, syndicats et juges vont puiser leurs arguments ailleurs que dans le Code du travail. Explications en ce jour du jugement de France Télécom.

Changement d’époque. Pour la première fois, ce vendredi, le juge pénal doit se prononcer sur une question apparemment  loin de ses bases  : le tribunal correctionnel de Paris va devoir dire si la politique d’entreprise menée par France Télécom entre 2007 et 2010 est constitutive d’un harcèlement moral sur l’ensemble de ses 120.000 salariés à l’époque des faits. 35 personnes avaient mis fin à leurs jours.

Durant les deux mois d’audience cet été, le tribunal a écouté  les témoignages des victimes et de leurs familles venues crier leurs douleurs ainsi que la défense des ex-dirigeants, dont Didier Lombard. Mais comment juger une politique managériale ? Pour tirer les fils de la chaîne de responsabilité, avocats de la défense et des parties civiles se sont battus à coups de rapports, notes et comptes rendus . A l’issue de ces semaines d’émotions et de colères exprimées à la barre, le parquet a dénoncé dans son réquisitoire des « habillages » servant à mettre en oeuvre une « politique de harcèlement managérial ». « Le but de ce procès n’est pas de porter un jugement de valeur sur vos personnes, mais de démontrer que l’infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d’entreprise, par l’organisation du travail et [être] qualifiée de harcèlement managérial », expliquait la procureure Françoise Benezech le 4 juillet dernier. Le parquet a plus largement pointé du doigt ce langage managérial qui permet de « dissimuler » une volonté de déstabiliser les salariés.  Les peines maximales ont été requises  : 75.000 euros d’amende contre France Télécom, un an de prison et 15.000 euros d’amende à l’encontre de Didier Lombard, Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot, ainsi que 10.000 euros et huit mois de prison contre « leurs zélés complices » Jacques Moulin, Nathalie Boulanger et Brigitte Dumont.

Avant la mise en délibéré, la présidente Cécile Louis-Loyant a prévenu : le tribunal devra se détacher du poids de l’attente d’une jurisprudence nouvelle sur le harcèlement moral par une politique d’entreprise. Il jugera en droit. Néanmoins, quelle qu’elle soit,  la décision du tribunal correctionnel aura un impact considérable.

De nouveaux outils de régulation

Car au-delà des drames personnels des victimes, cette affaire est révélatrice d’un mouvement de fond discret, mais extrêmement puissant, d’une mutation majeure du contentieux social. Avocats, syndicats et juges élargissent leurs champs d’action. Ils vont puiser leurs arguments ailleurs que dans le seul Code du travail et utilisent une panoplie plus vaste, allant de l’investigation financière au droit pénal, en passant par les nouveaux instruments juridiques de négociation. Parallèlement, le public concerné s’étoffe :  des populations entières de hauts cadres , d’habitude plus policés, n’hésitent plus à attaquer leur employeur devant les tribunaux.

Avocats d’entreprises et avocats de salariés font le même constat. « Nous sommes aujourd’hui devant un paradoxe, il n’y a jamais eu autant d’accords d’entreprise. Et, pourtant, les conflits se radicalisent comme jamais », analyse Pascale Lagesse, avocate associée du cabinet Bredin Prat, qui conseille nombre de grandes organisations. « Le droit du travail n’est plus la seule ressource du règlement de la conflictualité sociale. Nous avons besoin de nouveaux outils de régulation », reconnaît Roger Koskas, avocat de plusieurs syndicats et organismes de représentation du personnel. Un accord qui part mal peut coûter cher à l’entreprise. Ainsi, Constellium a été condamné par la cour d’appel de Douai à verser 2,4 millions d’euros à 50 salariés du site de Ham dans la Somme licenciés « sans cause réelle et sérieuse » en septembre 2019. La société (ex-Alcan-Pechiney) avait conclu un accord avec les syndicats et supprimé en octobre 2011 une centaine de postes sur 200 sur le site. Elle avait proposé un plan de départs volontaires avec une indemnité majorée, auquel avaient adhéré 90 salariés. Au terme d’une longue bataille judiciaire de presque neuf ans, les anciens d’Alcan ont obtenu gain de cause. Les magistrats de la cour d’appel de Douai ont approuvé les syndicats qui reprochaient à l’employeur de ne pas avoir respecté ses obligations de reclassement interne, préalable à ce plan.

« Au fur et à mesure des années, les portes de la régulation sociale se sont fermées, le contentieux prud’homal s’est réduit. Parallèlement, la mondialisation des entreprises et le recours à toutes les astuces du droit des sociétés – comme la multiplication des entités juridiques – ont mis des écrans à la responsabilité. Résultat : les positions se durcissent. Nous sommes obligés d’aller chercher ailleurs la faute de l’employeur », reconnaît un syndicaliste. En trois ans, le contentieux prud’homal a chuté de 46 % selon la cour d’appel de Paris tandis que parallèlement le juge judiciaire étend son emprise. Il est désormais compétent pour des demandes de  contrôles des risques psychosociaux , surveillés jusque-là par le juge administratif.

Plusieurs réformes sont la cause de cette mutation : la création de la  rupture conventionnelle , la  barémisation contestée des indemnités prud’homales, l’augmentation des démarches administratives, etc. Résultat, « le contentieux file ailleurs », constate Francis Teitgen, ancien bâtonnier de Paris et habitué du contentieux pénal de l’entreprise. « Le droit pénal, le droit financier… sont désormais appelés en soutien du conflit social », précise-t-il.

Ainsi, les contentieux ne se bornent plus au seul périmètre géographique de l’usine ou du site en cause. En septembre 2019, Michelin a été condamné à verser 1,3 million d’euros aux salariés de l’usine de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) qui contestaient leurs licenciements. La cour d’appel d’Orléans a donné raison au conseil des prud’hommes de Tours d’avoir considéré « qu’un groupe de dimension mondiale ne doit pas être cantonné au secteur d’activité européen et que les informations limitées à ce secteur rendent le licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Des champs d’action élargis

Dans le même esprit, pour contester les licenciements chez Lee Cooper, les syndicats sont remontés jusqu’au fonds d’investissement américain Sun Capital Partners, qui possédait, via un holding basé à Amsterdam – Vivat Holding BV -, la célèbre marque de jean. « Les opérations contestables observées au sein du groupe » ont été faites « à l’encontre des intérêts de Lee Coper France » et « dans le seul intérêt de son actionnaire principal », Sun Capital Partners, écrivent les juges. Selon la cour d’appel, le fonds d’investissement n’avait « pris aucune disposition » pour remédier aux difficultés économiques que ses opérations ont engendrées. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation le 24 mai 2018.

« Les syndicats participent à leur façon et s’inscrivent dans le mouvement de refondation du capitalisme », veut croire Eva Joly. L’ancienne juge d’instruction, désormais avocate, a conseillé le comité d’entreprise ouest parisien de McDonald’s – composé en majorité d’élus Unsa et CGT. En 2015, celui-ci a déposé plainte pour blanchiment de fraude fiscale auprès du parquet national financier (PNF). Il mettait en cause des pratiques fiscales rendant « impossible » tout bénéfice, et donc tout intéressement des salariés. Selon « Challenges », McDonald’s serait en train de discuter avec les magistrats d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Cette  transaction pénale créée par  la loi Sapin II permettrait au géant du burger d’éviter le procès et de mettre fin aux poursuites judiciaires à son encontre en payant une forte amende. Même stratégie pour Conforama, où deux syndicats, la CFE-CGC et FO, et un collectif de salariés ont porté plainte contre X auprès du PNF, le 4 novembre dernier, pour « présentation de faux bilan, abus de bien social et atteinte aux bons fonctionnements des marchés financiers ». Les plaignants estiment que les irrégularités comptables du groupe sud-africain Steinhoff ont précipité les difficultés de l’enseigne de meubles, sur le point de supprimer 1.900 emplois en France.

Les conflits « traditionnels » n’ont pas disparu pour autant. Mais leur base s’est diversifiée. Le 13 novembre dernier, la Cour de cassation vient à nouveau de donner raison à un financier qui réclamait le paiement de bonus différés que lui refusait son employeur, une grande maison de Wall Street. Il n’est pas le premier à utiliser le droit français contre le droit américain. En juin 2019, dans une première affaire, Morgan Stanley s’est vu condamné à verser 1,4 million d’euros de bonus différés  à son ancien banquier vedette Bernard Mourad . Et, dans une affaire concernant six ex-dirigeants du Groupe Barrière, la Cour de cassation, en avril 2019, a décidé que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de bons de souscription d’actions (BSA) devait être considérée comme un avantage obtenu en contrepartie du travail et devait donc être soumise aux cotisations sociales. « Cette décision remet en cause les montants des managements packages, chèrement négociés par les hauts dirigeants », constate Pascale Lagesse.

Prévenir partout et à tout moment

Cette intensification du contentieux social n’est pas près de s’inverser. Tandis que la Cour de cassation est venue élargir la  notion de préjudice d’anxiété à toute substance nocive et toxique dans un arrêt du 11 septembre 2019 – intensifiant ainsi les risques d’alertes internes -, la directive européenne du 7 octobre augmente  le pouvoir et la protection des lanceurs d’alerte .

Risque pénal, risque financier… De  l’audit d’acquisition aux plans de restructuration, « il y a désormais de la part de l’employeur la nécessité d’anticiper le risque social », prévient Laurent Gamet, avocat associé du cabinet Flichy Grangé.

Valérie de Senneville @VdeSenneville, Delphine Iweins @DelphineIweins

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Procès France Télécom : rappel des faits

Procès pour harcèlement chez France Télécom : l’heure de la décision

Après plusieurs mois de délibéré, les juges rendent aujourd’hui leur jugement dans l’affaire des suicides qui a atteint l’opérateur entre 2007 et 2010. Les enjeux sont tels que les juges savent déjà que, quelle que soit leur décision, celle-ci sera frappée d’appel.

Cécile Louis-Loyant ne se fait pas d’illusion. Quelle que soit la décision que la présidente et ses assesseurs rendront ce vendredi 20 décembre, elle sera immédiatement frappée d’appel « tant les enjeux sont grands ». Après plus de mois de délibéré, les juges devront dire si France Télécom et ses ex-dirigeants ont mis en place, entre 2007 et 2010, une politique managériale constitutive de harcèlement moral.

C’est une première. Car la décision devra certes réparer et dire le droit. Mais l’équation judiciaire est délicate dans cette affaire, où les faits reprochés portent sur l’ensemble du personnel de l’entreprise. Or, jusqu’alors, le principe en droit pénal voulait qu’un lien direct existe entre la victime et l’auteur du dommage. Ici, il est clair que, ni l’ex-PDG, Didier Lombard, ni les six autres hauts responsables prévenus n’ont « directement » harcelé moralement les victimes. Quid encore de la personne morale ?

Harcèlement managérial

« Le but de ce procès n’est pas de porter un jugement de valeur sur (les) personnes, mais c’est de démontrer que l’infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d’entreprise, par l’organisation du travail et (être) qualifiée de harcèlement managérial », avait précisé  le parquet dans ses réquisitions en demandant les peines maximales contre France Télécom et ses ex-dirigeants : 75.000 euros d’amende contre l’entreprise, un an de prison et 15.000 euros d’amende à l’encontre de Didier Lombard, l’ex-PDG, Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot, les anciens n° 2 et 3. Sans oublier 10.000 euros et huit mois de prison contre « leurs zélés complices », Jacques Moulin, Nathalie Boulanger et Brigitte Dumont. « Les peines encourues à l’époque sont si faibles qu’il faut demander le maximum » pour que la sanction ait un sens, avait expliqué la procureure.

Que décidera le tribunal, qui connaît le poids symbolique de son jugement ? Il devrait en tout état de cause fortement motiver sa décision car cette approche collective du harcèlement moral est inédite en droit. Peut-être essayera-t-il de condamner pour exprimer  l’écoute envers les victimes , tout en expliquant très précisément les conditions très particulières, afin d’éviter  une généralisation non maîtrisée de cette jurisprudence qui pourrait atteindre toutes les entreprises qui entreprennent un plan de réorganisation et de modernisation de leurs structures et de leurs personnels.

Rationalité confondante

Pendant l’audience, les ex-managers ont souvent opposé une rationalité confondante face à la souffrance de certaines victimes. Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange, qui représente France Télécom au procès, a reconnu qu’il était « indéniable qu’il y ait eu de la souffrance chez certains de nos collaborateurs. […] Mais nous contestons un harcèlement moral généralisé ». Il avait annoncé qu’Orange allait lancer  une « discussion » avec les organisations syndicales pour créer une commission d’indemnisation des victimes, « quelle que soit la décision » du tribunal.

Au coeur du procès, les plans Next et Act visant à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l’objectif de 22.000 départs et 10.000 mobilités. Pour les prévenus, il devait s’agir de départs « volontaires »« naturels ». En 2005, France Télécom était « en péril », l’entreprise, surendettée, subissait une concurrence « agressive », des évolutions technologiques « extrêmement rapides ». Trente-cinq personnes s’étaient suicidées.

Valérie de Senneville

 

 

 

Merci de m’avoir permis de décrire dans une tribune au « Monde » les facteurs qui ont placé les risques, la gestion des risques et la Fonction Risk Manager au cœur de la stratégie des entreprises. Pour en savoir plus, voir l’ouvrage « La Fonction Risk Manager. Organisation, méthodes et positionnement » que j’ai co-écrit avec Nicolas Dufour ; paru en avril 2019 aux Editions Géreso.

Le Monde (site web)

vendredi 18 octobre 2019 – 14:00

Incendie de Rouen : « L’actualité témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques »

Caroline Aubry, enseignante en gestion du risque, décrit dans une tribune au « Monde » les facteurs qui ont placé cette discipline au cœur de la stratégie des entreprises.

Tribune. L’actualité récente témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques, qui fait aujourd’hui de sa gestion une variable stratégique de la réflexion des entreprises. Les cyber-attaques subies par Airbus ces derniers mois appartiennent à la catégorie des risques nouveaux ; le cyber-risque est d’ailleurs le premier cité par les entreprises dans le baromètre des risques de l’assureur Allianz.

L’incendie de l’usine Lubrizol, le jeudi 26 septembre, n’est pas qu’un risque « traditionnel » d’incendie ; il s’agit d’un risque éthique dans sa dimension de développement durable. La plainte déposée le 26 septembre par la Fédération Internationale pour les droits humains contre BNP Paribas et ses anciens dirigeants, pour complicité de torture, crimes contre l’humanité, génocide, blanchiment et recel au Soudan, est un risque éthique dans sa dimension de gouvernance : respect par l’entreprise des engagements pris, transparence et ouverture aux besoins de l’environnement dans laquelle elle opère, prise en compte des parties prenantes, les actionnaires et tous les groupes ou individus qui peuvent affecter ou être affectés par la réalisation de ses objectifs.

Les entreprises doivent faire face à des risques potentiels plus difficiles à cerner car ils sortent du champ de compétences des experts. Depuis trente ans, ces facteurs les ont conduites à mettre en place une démarche globale de gestion des risques, nommée « Enterprise-Risk-Management » (ERM) par les Anglo-Saxons ; ils ont contribué à la création d’une fonction dédiée à la gestion des risques.

Anxiété collective

L’élargissement du domaine de la gestion des risques s’est amorcé dans les années 1990 avec l’apparition de nouveaux risques issus des changements technologiques. Il s’est poursuivi avec la multiplication de qualificatifs venus en préciser la nature : éthique, environnemental, social, de gouvernance, de réputation, etc.

Est ensuite apparue l’idée d’une perception du risque différente selon les individus ou les niveaux dans l’entreprise. Cette perception est en effet fortement liée aux caractéristiques individuelles de l’acteur, sa personnalité, son histoire, ses préjugés, son exposition au risque…

L’élargissement du domaine de la gestion des risques s’est amorcé dans les années 1990 avec l’apparition de nouveaux risques issus des changements technologiques

Cette subjectivité intervient aussi dans la relation de l’entreprise avec les acteurs de la société civile. Par exemple, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001 a généré en France un état d’anxiété collective, accentué par la vigilance nouvelle des acteurs de la société civile qui ont pris conscience de ces vulnérabilités ; les populations habitant à proximité d’installations classées Seveso ont une perception accrue du risque.

Une approche exclusivement objective de l’incendie de l’usine Lubrizol ne donnerait qu’une vision partielle, voire erronée de la situation. Les entreprises doivent dorénavant impliquer les acteurs, intégrer les facteurs d’environnement susceptibles d’influencer cette perception (les médias, par exemple) et tenir compte des valeurs et des attentes grandissantes des parties prenantes. La communication devient essentielle, le risque de réputation, risque subjectif par excellence, devient le « cauchemar » des directions générales.

Réticence des compagnies d’assurance

Les entreprises sont amenées à gérer elles-mêmes ces nouveaux risques du fait de la réticence des compagnies d’assurance à les prendre en charge : comment continuer à croire qu’il n’y a pas un « trou énorme » entre la protection des assurances et ce dont les entreprises ont besoin pour couvrir, par exemple, le coût de cyber-attaques répétées, ou celui d’une catastrophe environnementale comme celle de l’usine Lubrizol ?

La référence « tous azimuts » à ce principe de précaution au contenu peu structurant contribue à l’installation de l’illusion du risque zéro

Les « affaires » participent également à cette extension du domaine du risque. Les affaires Maxwell (1991), Enron (2001), Vivendi (2002)… ont débouché sur l’exigence de conditions nouvelles de transparence des risques de la part des entreprises. Lubrizol, Volkswagen et le Dieselgate, Renault-Nissan et l’incarcération de Carlos Ghosn, Lactalis et le lait contaminé, pour ne citer que les affaires les plus médiatiques, renforcent cette exigence.

Enfin, depuis 2004, le régulateur, le législateur et les médias ont contribué à la diffusion de l’image d’un monde plus risqué et l’ont amplifiée. Prenons le principe de précaution, pilier de la « soft law » adoptée par les entreprises : la référence « tous azimuts » à ce principe au contenu peu structurant (car il n’offre aucun modèle d’action prédéfini) contribue à l’installation de l’illusion du risque zéro ; le seuil d’acceptabilité du risque par les parties prenantes diminue. De leur côté, les médias amplifient la notion de responsabilité du dirigeant en cas de négligence, et surtout les logiques de compensation.

Caroline Aubry est coauteur, avec Nicolas Dufour, de « La Fonction Risk Manager. Organisation, méthodes et positionnement » (Gereso édition, 250 pages, 25 euros).

Cet article est paru dans Le Monde (site web)

 

Focus sur le risque de pollution de l’air : qualité de l’air extérieur, qualité de l’air intérieur.

Le périmètre de gestion des risques des Risk Managers s’élargit. La transition écologique en fait désormais partie.

L’analyse des rapports financiers annuels révèle que les grandes entreprises françaises sont parmi les plus impliquées en matière de RSE et notamment sur le sujet du risque lié au climat.

Je vous propose un focus sur le risque de pollution de l’air : qualité de l’air extérieur, qualité de l’air intérieur.

La qualité de l’air et l’impact de la pollution atmosphérique sont aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique et de qualité de vie : plus de 8 millions de décès prématurés dans le monde seraient causés par la pollution de l’air, dont 3,8 attribués à la pollution de l’air à l’intérieur des habitations, selon l’OMS.

Description du risque

UNE POLLUTION “INVISIBLE” ET COMPLEXE

La pollution de l’air se caractérise par la contamination de l’environnement intérieur ou extérieur par un agent chimique, physique ou biologique qui modifie les caractéristiques naturelles de l’atmosphère.

Mesurée par une combinaison de méthodes chimiques et électroniques, la qualité de l’air est évaluée via une surveillance régulière. Des capteurs et analyseurs, de plus en plus performants, sont reliés à un système informatique enregistrant des valeurs à intervalles réguliers. Ces valeurs permettent de quantifier le taux de pollution de l’atmosphère de la zone surveillée.

En France, cette surveillance est réalisée, pour l’air extérieur, par un ensemble d’associations (Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air) réparties sur le territoire.

Selon l’Ademe, il n’y a pas de « frontière » entre la qualité de l’air extérieur (QAE) et la qualité de l’air intérieur (QAI) ; la QAI dépendant en partie de la QAE. Si des actions spécifiques doivent et peuvent être menées pour préserver ou améliorer la qualité de l’air intérieur, celles en faveur de la qualité de l’air extérieur agissent automatiquement sur la qualité de l’air intérieur.

UN ENJEU MAJEUR DE SANTÉ PUBLIQUE

La pollution de l’air est l’un des principaux risques environnementaux à l’échelle mondiale. Selon l’OMS; elle aurait causé plus de 8 millions de décès prématurés dans le monde, en 2016, ce qui en fait le quatrième facteur de risque de mortalité dans le monde. Par ailleurs, l’air intérieur aux bâtiments n’est pas moins pollué que l’air extérieur, alors que nous passons plus de 85% de notre temps dans un endroit clos.

L’étude Elabe pour Veolia, réalisée sur ce sujet en 2019, en France, en Belgique et dans l’agglomération de Shanghaï, est significative à cet égard : un Français sur deux ou encore plus de 60% des Belges comme des Shanghaiens sont surpris d’apprendre que nous sommes davantage exposés à la pollution de l’air à l’intérieur de notre logement et des bâtiments que nous fréquentons qu’à l’extérieur.

Impact du risque

LA POLLUTION DE L’AIR ET SES CONSÉQUENCES, EN QUELQUES CHIFFRES

Chiffres actuels (source OMS – 2018) :

  • 8 millions de décès dans le monde sont attribués en 2016 à la pollution de l’air => 4,2 millions de décès prématurés attribués à la pollution de l’air extérieur et 3,8 millions de décès prématurés attribués à la pollution de l’air à l’intérieur des habitations.
  • 91% de la population mondiale vivait en 2016 dans des endroits où les lignes directrices de l’OMS relatives à la qualité de l’air n’étaient pas respectées.
  • En 2015, les coûts des soins de santé sont évalués à 21 Md$  et la pollution de l’air serait responsable de 1,2 milliards de jours de productivité perdus (« Les conséquences économiques de la pollution de l’air extérieur », OCDE – Septembre 2016)

Prévision 2060 :

  • Jusqu’à 9 millions de décès prématurés par an (Source IHME : Institute for Health Metrics and Evaluation)
  • La pollution de l’air pourrait coûter jusqu’à 1% du PIB mondial en 2060 (l’impact sur la productivité du travail, sur les dépenses de santé et sur le rendement des cultures agricoles impliquerait une augmentation progressive des coûts économiques globaux qui atteindraient 1 % du produit intérieur brut mondial) (Source OCDE)
  • Chaque année, les coûts des soins de santé prévus s’élèveraient à 176 Md$ et l’impact sur la productivité serait évaluée à 3,7 milliards de jours perdus (« Les conséquences économiques de la pollution de l’air extérieur », OCDE – Septembre 2016)

Exemple de gestion du risque de qualité de l’air : plans d’actions (Veolia)

  • contrôle des émissions atmosphériques de nos technologies d’incinération des déchets dangereux,
  • maîtrise des odeurs émises par les stations de traitement des eaux usées,
  • audit et mesure de la qualité sanitaire des flux d’eau et d’air des bâtiments.

Décryptage du procès France Télécom. Suite de l’article « Le procès France Télécom, une épée de Damoclès pour les entreprises ». Fin de l’audience le 12 juillet.

Procès France Télécom : de la difficulté de juger une politique managériale

Au bout de six semaines d’audience et l’arrivée des premiers témoignages des familles de victimes, la fatigue des prévenus ne leur permet plus de se défiler et l’émotion explose, enfin

Par Valerie De SENNEVILLE

La présidente fait descendre derrière elle un immense écran sur lequel se projette un organigramme du management du groupe France Télécom en 2007. Une douzaine d’entrées horizontales et autant de verticales, un embrouillamini de lignes aux titres abscons. A la barre, Brigitte Bravin-Dumont. En 2006, elle est directrice du programme Act (le volet social du plan Next qui définissait la transformation de l’entreprise) et en septembre 2010, directrice adjointe des ressources humaines groupe. Comme six autres cadres, dont l’ex-PDG Didier Lombard,  elle est renvoyée devant le tribunal pour harcèlement moral ayant mené à la crise des suicides entre 2007 et 2010 au sein du groupe.

« Alors vous voyez, tente-t-elle d’expliquer au tribunal, les DRH métiers étaient rattachées aux directions métiers… Dites-moi si je suis claire ». « Mmmmh » répond la présidente Cécile Louis-Loyant qui ne semble pas convaincue. La présidente s’interroge sur l’organisation matricielle de l’entreprise et sur la chaîne de responsabilités entre les directions opérationnelles et les directions métiers et supports. Une avocate de Didier Lombard, Bérénice de Warren, fait remarquer que toutes les entreprises de la taille de France Télécom fonctionnent ainsi. La présidente acquiesce, « mais reconnaissez que c’est compliqué …» Oui.

Et soudain, on comprend : ce procès exemplaire par son ampleur risque de se révéler frustrant. Parce que l’on est dans un tribunal qui est là pour appliquer la règle de droit pénal et qu’il lui faudra relier les actes, aussi dramatiques soient-ils, à chacun des prévenus.  Comment juger une politique managériale ?

« Détabouiser l’intérim interne »

Cela fait six semaines que l’audience a commencé et la présidente ne laisse rien passer au risque de la saturation. Elle plonge en apnée dans le fonctionnement d’une grande entreprise de plus de 120.000 salariés à l’époque des faits.  Elle doit décortiquer et analyser. En apprendre aussi le langage. Ainsi, ce dialogue entre Cécile Louis-Loyant et l’un des prévenus Jacques Moulin. En 2007, il était directeur territorial Est. A la barre il parle du « kick-off » du projet. « Ca veut dire quoi ? » l’interrompt la présidente « ha, heu oui, : lancement ». Le tribunal projette donc la note « Time to Move » qui parle « déstabilisation positive pour les populations sédentaires » et de « détabouiser l’intérim interne » (sic). « J’admets que les termes étaient mal choisis », reconnaît Jacques Moulin.

Orange/France Télécom ou l’équation délicate de la défense de l’entreprise

Pour arriver à tirer les fils de la chaîne de responsabilité, avocats de la défense et des parties civiles se battent à coups de rapports, notes et comptes rendus. Voilà donc la direction qui produit « son » rapport. Il précède de quelques mois le rapport Technologia qui, en décembre 2009, allait tirer la sonnette d’alarme sur le malaise des salariés de France Télécom. « Le questionnaire me renvoie le message d’une société qui va dans le bon sens », soutient Louis-Pierre Wenès, l’ex-numéro 2 de l’opérateur. Plus de 29.000 personnes avaient répondu, de manière anonyme. Parmi les résultats : 86 % des managers et 71 % des collaborateurs estimaient avoir progressé dans leur métier en un an.

« Vous pleurez Monsieur Lombard ? »

Mais au bout de six semaines et l’arrivée des premiers témoignages des familles de victimes, la fatigue des prévenus ne leur permet plus de se défiler et l’émotion explose, enfin. Pour la première fois, Didier Lombard cède. A la barre, il raconte la gorge serrée cette visite en 2009 à Cahors. « Vous pleurez Monsieur Lombard ? », demande la présidente. « Oui, on pense que je n’ai pas de coeur mais ce n’est pas vrai ». Avant lui, Louis-Pierre Wenès s’était emporté, la voix s’était fêlée : « je ne suis pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche : les gens dont on parle, j’en ai dans ma famille. J’ai un profond attachement à la vie et au respect de l’homme », avait-il dit.

Les auditions des parties civiles, familles de victimes ou salariés ayant traversé un lourd épisode dépressif vont maintenant se poursuivre. Jusqu’à la lie. Mais des larmes, aussi attendues soient-elles, ne prouvent pas une culpabilité. L’audience devrait se finir le  12 juillet.

 

 

Orange/France Télécom ou l’équation délicate de la défense de l’entreprise.

Docteur Jeckyll et Mister Hyde. Orange et France Télécom. L’opérateur téléphonique est soumis depuis trois semaines à une étrange schizophrénie judiciaire : comment se défendre sans renier son passé ou obscurcir son présent et son avenir.

Car c’est bien la même entreprise France Télécom devenue Orange en 2013 qui a été renvoyée comme personne morale pour « harcèlement moral au travail » entre 2007 et 2010.

Le dossier est emblématique à plus d’un titre. Pour la première fois, une société du CAC 40 est mise en cause pénalement du fait de sa politique managériale.  Le drame a été immense et dévastateur . Elle comparait aux côtés de ses anciens dirigeants.

Années sombres

Mais depuis, l’entreprise n’a pas seulement modifié opportunément son nom elle a surtout changé en profondeur. Avec l’arrivée de Stéphane Richard à sa tête en 2010, Orange a radicalement tourné le dos à ces années sombres qui ont vu plusieurs salariés mettre fin à leurs jours.

Pour autant, l’entreprise ne peut pas accabler l’ancienne équipe, puisqu’elle est, elle aussi, sur le banc des prévenus. Les montrer du doigt, c’est s’affaiblir soi-même. Alors il faut naviguer subtilement, sortir du déni pour se démarquer des ex-managers, accepter et reconnaître qu’il y a eu une crise sociale au sein de l’entreprise sans pour autant endosser la responsabilité du système de harcèlement généralisé.

Crise sociale

Exemple, ce jeudi 23 mai.  Daniel Doublet est à la barre. C’est une des premières parties civiles à être entendue. Il accable l’entreprise. Appelé pour s’expliquer, Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange, et représentant l’entreprise à l’audience commence par affirmer que la situation de cet ancien cadre « n’a rien à voir » avec les plans NExT et Act au coeur du dossier. Mais aussitôt nuance « mais encore une fois cela n’enlève rien à ce que Monsieur Doublet a vécu ».

Et cela fonctionne d’autant plus que le principal prévenu, l’ancien PDG, Didier Lombard, peine à reconnaître « une crise sociale », tout juste admet-il une « crise médiatique », parlant de « l’effet Werther » selon lequel les passages à l’acte augmentent après la parution dans les médias d’un cas de suicide.

Matière volatile

Apparaître changé est une bataille d’image, mais peut aussi faire gagner des points au groupe télécoms auprès du tribunal. Les juges pourraient tenir compte, au-delà des faits eux-mêmes, de la façon dont Orange a géré ensuite la crise. Et ne pas vouloir pénaliser l’entreprise – et les salariés – d’aujourd’hui au nom de l’entreprise d’hier.

Mais il ne faut pas en faire trop. La communication judiciaire est une matière volatile. Au premier jour du procès Bruno Mettling, président d’Orange Afrique et Moyen-Orient et directeur des ressources humaines du groupe en 2010 est venu en marge de l’audience affirmer aux caméras et aux micros tendus que « pour l’entreprise, ce procès est important : il va permettre de comprendre dans quelles circonstances ces drames sont arrivés ».

Le lendemain la présidente demande en fin d’audience à Nicolas Guérin s’il a quelque chose à ajouter : « non rien », dit-il. « J’avais pourtant cru que vous (l’entreprise NDLR) aviez des choses à dire hier en dehors de la salle d’audience », relève alors cinglante la magistrate. Il reste encore sept semaines d’audience à tenir.

Valérie de Senneville

France Télécom : un procès inédit qui aura un impact considérable sur la responsabilité pénale des entreprises

Les juges devront déterminer si un système managérial peut-être responsable de ces drames. Je vous propose de suivre de près le déroulement de ce procès et d’analyser le risque encouru par les entreprises. 

Le procès France Télécom, une épée de Damoclès pour les entreprises

A partir de ce lundi 6 mai, et pendant neuf semaines, sept personnes physiques, dont Didier Lombard, et une personne morale devront s’expliquer devant le tribunal correctionnel de Paris et revenir sur cette période de 2008-2009 où France Télécom a été confronté à une vague de suicides. Un procès dont l’issue aura un impact considérable sur la responsabilité pénale des entreprises.Echos

L’audience qui s’ouvre ce lundi 6 mai est déterminante. Bien sûr, elle l’est pour France Télécom, son ex-PDG, Didier Lombard, et les hauts cadres qui se retrouvent sur le banc des prévenus ; mais elle l’est aussi pour toutes les entreprises qui entreprennent un plan de réorganisation et de modernisation de leurs structures et de leurs personnels.

Pendant neuf semaines – une longueur hors du commun -, tous les après-midi, sept personnes physiques et une personne morale devront s’expliquer devant le tribunal correctionnel de Paris et revenir sur cette période où France Télécom a été confronté à une vague de suicides, tentatives de suicides et dépressions de ses employés. Entre 2008 et 2009, 35 personnes avaient mis fin à leurs jours.

Procès inédit                                                       

Ce procès est inédit. Pour la première fois une société du CAC 40 et son haut management sont présumés responsables de harcèlement moral sur l’ensemble du personnel de l’entreprise du fait d’une politique managériale. Or, jusqu’alors, le principe en droit pénal voulait qu’un lien direct existe entre la victime et l’auteur du dommage. Ici il est clair que ni Didier Lombard ni les six hauts responsables n’ont « directement » harcelé moralement les victimes. Les juges Brigitte Jolivet et Emmanuelle Robin qui ont mené l’instruction le savent.

Elles vont donc s’attacher à décrire « un système » ayant in fine pour but la réduction des effectifs quel qu’en soit le prix. En 2005, France Télécom, privatisé un an plus tôt, est confronté à un « paradoxe » : le nombre de fonctionnaires est encore important alors que l’entreprise a besoin de recruter pour s’adapter aux nouvelles technologies et répondre aux besoins des clients. « Il était impossible de procéder à des licenciements pour motif économique des fonctionnaires. C’est là l’une des clefs de compréhension des méthodes de management déclinées au sein de l’entreprise », écrivent  les juges d’instruction dans leur ordonnance de renvoi de 673 pages.

Déflation des effectifs

Dès lors les plans mis en place visaient certes « à adapter l’entreprise aux réalités économiques et financières », mais les restructurations qui en découlaient « intégraient une programmation précise de déflation des effectifs ».

Entre 2008 et 2009, 35 personnes avaient mis fin à leurs jours.

Cette démonstration leur permet d’affirmer que « les effets de cette politique, qui faisait de la déstabilisation des agents ‘un levier’ pour parvenir aux objectifs de transformation de l’entreprise, ont entraîné ou accentué chez nombre de salariés une souffrance dont les manifestations ont pris des formes diverses, la plus dramatique étant le passage à l’acte suicidaire. »

Agissements répétés

Dès lors, selon Brigitte Jolivet et Emmanuelle Robin, il serait inutile de démontrer le lien direct, car les « agissements répétés » exigés par l’article 222-33-2 du Code pénal pour prouver le harcèlement moral « peuvent résulter de méthodes de gestion ou de management, voire d’une véritable organisation managériale ». Elles précisent enfin que « ni la lettre du texte, ni la logique de la matérialité des faits n’impose que les auteurs connaissent les victimes des faits, dès lors que le lien entre leurs agissements et la dégradation des conditions de travail est établi. »

On imagine sans mal les sérieuses conséquences que cette logique pénale nouvelle pourrait avoir sur nombre d’entreprises. C’est, dès lors, toutes les transformations d’entreprises à statut, comme la SNCF ou La Poste, ou qui évoluent dans un environnement concurrentiel tendu, comme Air France et aux mutations technologiques rapides, comme Renault – qui a déjà connu une vague de suicides en 2006 – ou Technip – confronté aussi au même drame et dont les syndicats ont d’ores et déjà saisi la justice – qui vont se retrouver concernées directement. L’affaire résonne aussi fortement pour Pôle emploi que plusieurs plaintes pour harcèlement visent après une vague de suicides entre 2009 et 2012. « Il existe plusieurs points de similitude entre ces deux entreprises, toutes deux parapubliques à l’organisation régionale complexe », relève l’avocat d’une des victimes, Eric Morain.

Approche inédite

Les juges devront déterminer si un système managérial peut-être responsable de ces drames.

 

Cette approche collective du harcèlement moral est inédite », confirme Loïc Lerouge, chercheur au CNRS et membre du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité à l’université de Bordeaux. « Cette affaire a un retentissement mondial, il y a une grande curiosité. La France est le premier pays à poursuivre au pénal une entreprise sur le lien entre organisation du travail, mal-être et suicides. De gros enjeux sont liés à ce procès au regard du précédent qu’il va créer. »

Un avis partagé par Patrick Légeron, psychiatre et fondateur de Stimulus, un cabinet de conseil aux entreprises. « Cela va être un électrochoc. Les entreprises n’ont pas conscience des risques. Aux Etats-Unis, on a calculé que le coût du stress au travail était de plus de 300 milliards de dollars par an », constate le médecin.

Vague de globalisation

La vague sera d’autant plus forte que la tendance à la « globalisation » est très nette chez les juges du siège. Si la Cour de cassation résiste encore, de plus en plus de décisions tentent de démonter un « système » délictuel en droit pénal des affaires sans plus chercher de lien direct à la faute. Ainsi, en droit pénal financier, le tribunal a condamné la banque suisse UBS à une amende record de 4,5 milliards d’euros pour blanchiment de fraude fiscale au motif que la fraude « d’une particulière gravité trouve sa source dans une organisation structurée verticalement, systématique et ancienne ». Bref un « système », encore un.

Valérie de Senneville