Archives pour la catégorie RISQUES

RISQUES INDUSTRIELS (3). USINE LUBRIZOL : DU RISQUE D’INCENDIE AU RISQUE ETHIQUE DANS SA DIMENSION ENVIRONNEMENTALE.

A lire ou relire dans l’ouvrage  « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Chapitre 1 / Histoire récente des risques, de la gestion des risques, de la FRM / De 2019 à aujourd’hui / 4 exemples / Du risque incendie au risque éthique : l’incendie de l’usine Lubrizol. P.79

A lire ou relire à partir des liens :

A lire aujourd’hui ci-dessous :
  • L’analyse de Paul Poulain sur les conséquences environnementales de l’incendie de l’usine Lubrizol.
  • L’article de Valentin Lebossé sur cette actualité / « Pour rappel, l’entreprise est déjà mise en examen, depuis septembre 2021, des chefs de « déversement de substances nuisibles dans les eaux » de la Seine et de « rejet en eau douce de substances nuisibles aux poissons ». »

Analyse de Paul Poulain

« L’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen en 2019 a eu de lourdes conséquences environnementales. Quatre ans après la catastrophe, les analyses des eaux souterraines réalisées dans les environs du site montrent que la pollution est toujours présente : https://lnkd.in/eG87b4u9

Les analyses révèlent la présence de deux catégories de polluants : les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS).
Les HAP sont des substances cancérogènes connues, tandis que les PFAS sont des « polluants éternels » dont les effets sur la santé sont encore mal connus.

Les concentrations en HAP et en PFAS sont parfois supérieures aux seuils de qualité applicables pour les eaux destinées à la consommation humaine.
En particulier, la somme des HAP a atteint 98 microgrammes par litre (µg/l) au piézomètre 32 (Pz32) en décembre 2022. Or, la limite pour les eaux brutes destinées à la production d’eau potable est fixée à 1 µg/l.

La somme des PFAS (PFOA + PFOS) culmine encore à plus de 19 µg/l en décembre 2022 et 10 µg/l en avril 2023, pour une norme de qualité (instaurée au niveau européen mais pas encore retranscrite en droit français) ne dépassant pas 0,5 µg/l.

Ces résultats sont préoccupants car ils montrent que les opérations de dépollution menées par Lubrizol sont insuffisantes. La pollution des eaux souterraines continue de menacer l’environnement et la santé des populations.

Il est urgent de renforcer les mesures de dépollution pour protéger les ressources en eau et la santé publique. »
Post sur LI

Article de Valentin Lebossé

« La pollution des eaux souterraines est avérée » après l’incendie de Lubrizol à Rouen

Des analyses d’eaux souterraines réalisées après l’incendie de Lubrizol à Rouen, révèlent une contamination de la nappe phréatique par plusieurs polluants. Précisions.

Des analyses d’eaux souterraines réalisées après l’incendie de Lubrizol à Rouen, révèlent une contamination de la nappe phréatique par plusieurs polluants. (©Le Bulletin/Archives)

Quatre ans après le gigantesque incendie de Lubrizol et Normandie Logistique du 26 septembre 2019 à Rouen (Seine-Maritime), des résidus de la catastrophe industrielle continuent d’imprégner les eaux souterraines à l’endroit de la zone sinistrée. C’est ce qui ressort de différents rapports d’analyses transmis par la préfecture à l’Union des victimes de Lubrizol (UVL) et dont 76actu a obtenu copie.

 « La pollution des eaux souterraines est avérée », confirme à la lecture de ces résultats l’hydrogéologue Matthieu Fournier, enseignant-chercheur à l’université de Rouen et co-coordinateur du projet Cop Herl, chargé d’étudier les conséquences de l’incendie sur l’environnement et l’Homme.

HAP, PFAS… Les eaux souterraines de Lubrizol polluées

Les mesures en question proviennent de document fournis par Lubrizol aux autorités, en vertu de l’arrêté préfectoral du 22 novembre 2021 qui impose un suivi des eaux souterraines concernant deux zones :

  • l’ensemble de l’usine Lubrizol, avec un suivi biennal ;
  • la zone sinistrée en septembre 2019, avec un suivi semestriel.

Nous avons notamment pu consulter les résultats de trois campagnes de prélèvement réalisées en octobre 2020, décembre 2022 et avril 2023, sur cinq piézomètres (forages) situés aux abords du secteur incendié (carte en cliquant sur le lien ci-dessous).

Deux catégories de polluants retiennent particulièrement l’attention : les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), reconnus pour certains comme potentiellement cancérogènes, et les PFAS (abréviation anglaise de « composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés »), également appelés « polluants éternels », aux effets encore mal connus sur les organismes vivants.

Des dépassements parfois très élevés

Selon Matthieu Fournier, le lien entre la présence de ces substances dans la nappe phréatique et l’incendie de Lubrizol ne fait presque aucun doute. « La combustion des huiles moteur produites chez Lubrizol génère des HAP », note-t-il. Quant aux PFAS, « on les retrouve dans les mousses d’extinction utilisées par les pompiers ».

Mais c’est surtout la « dynamique » des teneurs relevées qui laisse peu de place au doute, avec « un phénomène intense – l’incendie de Lubrizol – suivi de fortes concentrations » en polluants.

La préfecture elle-même le dit dans sa réponse à l’UVL : « Les concentrations relevées sur certains paramètres dépassent des seuils habituellement applicables pour des eaux destinées à la consommation humaine. » Et de loin dans certains cas, comme le montrent les tableaux de ce communiqué que nous a transmis l’Union des victimes de Lubrizol (lien ci-dessous) :

Ainsi, en décembre 2022, la somme des HAP a par exemple atteint 98 microgrammes par litre (µg/l, un microgramme correspond à un millionième de gramme) au piézomètre 32 (Pz32). Alors que la limite pour les eaux brutes destinées à la production d’eau potable est fixée à… 1 µg/l !

Sur ce même Pz32 situé au nord de la zone sinistrée, la somme des PFAS (PFOA + PFOS) culmine encore à plus de 19 µg/l en décembre 2022 et 10 µg/l en avril 2023, pour une norme de qualité (instaurée au niveau européen mais pas encore retranscrite en droit français) ne dépassant pas 0,5 µg/l.

Les HAP multipliés par 19 !

Certes, « l’aquifère concerné n’est pas utilisé pour l’alimentation humaine », tient à rassurer la préfecture. Matthieu Fournier observe également une « tendance globale et classique à la baisse des concentrations dans le temps, du fait de la coupure des sources d’apport, de la dégradation des molécules et de la circulation naturelle des eaux souterraines vers la Seine ».

Il n’empêche, à l’opposé de cette tendance, le scientifique relève « le cas particulier du Pz28 », où « la somme des HAP a été multipliée par 19 en trois ans » – de 0,2 µg/l en octobre 2020 à 3,8 µg/l en avril 2023 – souligne l’UVL dans son communiqué.

Et l’association de rappeler que « cette zone correspond à la zone 5 de remédiation où la Dreal a accepté l’arrêt des excavations de terre polluée sous prétexte que cela n’était pas techniquement et économiquement acceptable ».

Dépollution incomplète

Dans son rapport d’inspection du 27 avril 2022, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement écrit en effet qu’« un bloc béton a été rencontré à la profondeur entre 1 et 2 m rendant techniquement impossible la poursuite des opérations d’excavation ».

Arguant de cette « impossibilité technique » et de « la conformité des valeurs mesurées sur la profondeur 1 – 2 m [aux seuils de dépollution] », la Dreal « émet un avis favorable à l’arrêt des opérations d’excavation au nord de la fouille ».

Faut-il établir une relation de causalité entre cette autorisation d’arrêter la dépollution et la forte hausse des teneurs en HAP au Pz28 ? Matthieu Fournier ne l’exclut pas. Mais en l’absence d’indications au moment des prélèvements sur la profondeur et le niveau de la marée dans la Seine toute proche, il s’interroge sur la pertinence de comparer ces mesures effectuées à plusieurs mois d’intervalle.

Inquiétude sur les « polluants éternels »

Plus encore que les HAP, ce sont les PFAS – ces fameux « polluants éternels » – qui préoccupe l’enseignant-chercheur. De fait, en avril 2023, leur teneur totale dépasse encore le seuil de qualité (0,5 µg/l) dans trois des cinq piézomètres autour du site incendié.

« Ces molécules ne se dégradent pas dans l’environnement et on ne sait pas les traiter, souligne Matthieu Fournier. Par conséquent, elles contaminent tous les milieux et s’accumulent dans les tissus des organismes vivants [par exemple les poissons de la Seine, NDLR]. Or, nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur leur dangerosité potentielle. »

« Est-il toujours acceptable d’avoir une contamination ? »

Le constat d’une contamination de la nappe phréatique étant établi, se pose la question de l’efficacité des opérations de dépollution imposées à l’industriel. « Est-il toujours acceptable, quatre ans après l’incendie, d’avoir une contamination des eaux souterraines ? », fait mine de s’interroger Christophe Holleville.

Pour le secrétaire de l’UVL, ces analyses constituent un nouvel élément à charge contre Lubrizol, qu’il va transmettre au juge d’instruction chargé de l’enquête sur la catastrophe industrielle. Pour rappel, l’entreprise est déjà mise en examen, depuis septembre 2021, des chefs de « déversement de substances nuisibles dans les eaux » de la Seine et de « rejet en eau douce de substances nuisibles aux poissons ».

 « L’industriel a une obligation de résultat en matière de dépollution qui n’est pas respectée », estime Christophe Holleville qui compte bien demander au préfet de mettre en demeure Lubrizol « de dépolluer les eaux ou d’aller plus loin dans la décontamination du site ».

Cette requête a-t-elle une chance d’aboutir ? À entendre Matthieu Fournier, « on ne dépollue jamais complètement un lieu qui reste à vocation industrielle. La question se poserait différemment si on voulait y implanter une crèche. C’est évidemment critiquable sur le plan environnemental, mais en l’absence de risque sanitaire majeur pour les populations, la loi est respectée ».

Également contactée, la préfecture a indiqué qu’elle nous apporterait une réponse dans les prochains jours, réponse que nous publierons dès qu’elle nous parviendra.

Par Valentin Lebossé, 22 novembre 2023.vv

RISQUES INDUSTRIELS (2). QUATRE ANS APRES L’INCENDIE DE L’USINE LUBRIZOL (26 SEPTEMBRE 2019), VINGT-ANS APRES SON ADOPTION (30 JUILLET 2003) : QUEL BILAN DE LA LOI SUR LA PREVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS ?

A lire dans l’ouvrage  « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Chapitre 1 / Histoire récente des risques, de la gestion des risques, de la FRM / De 2019 à aujourd’hui / 4 exemples / Du risque incendie au risque éthique : l’incendie de l’usine Lubrizol. P.79

A lire ou relire sur le blog : RISQUES INDUSTRIELS (1). CARACTERISTIQUES. RETOUR SUR L’INCENDIE DE L’USINE LUBRIZOL.

A savoir :

👎 les risques incendie / explosion perdent deux places pour se placer au 9éme rang du classement des risques du baromètre des risques d’Allianz 2023.

👎 les risques industriels, en tant que classe de risques, absente du top ten du classement

Risques industriels : les collectivités dressent le bilan de vingt ans d’« échec » de plans de prévention pour protéger les populations

Adoptée en 2003 après la catastrophe AZF, la loi « risques » n’a produit que « très peu d’effets », déplorent dans un rapport les communes accueillant des sites Seveso sur leur territoire.

Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine AZF, à Toulouse, entraînait la mort de 31 personnes, en blessait plus de 2 500 et provoquait de lourds dégâts matériels. Cette catastrophe a rappelé que la France n’était pas à l’abri d’un accident industriel majeur et conduit à l’élaboration de la loi du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques technologiques. Des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ont été instaurés dans les territoires accueillant des installations à haut risque dites « Seveso seuil haut » dans le but d’améliorer la protection des populations. Vingt ans après, l’heure est au bilan. Et il est cinglant. Un « échec », juge Amaris, le réseau national des collectivités exposés aux risques industriels, dans un rapport publié mardi 19 septembre et auquel Le Monde a eu accès.

« Vingt ans après le vote de la loi instaurant des PPRT, cet outil n’a produit que très peu d’effets », regrette Alban Bruneau, président d’Amaris et maire de Gonfreville-l’Orcher, commune de Seine-Maritime où est installée la plus grande raffinerie de France, propriété de TotalEnergies. Raffineries, mais aussi complexes chimiques ou sidérurgiques, sites de stockage de produits extrêmement dangereux… 378 PPRT (concernant les 400 sites Seveso seuil haut existant en 2003, contre 700 en 2023) sont aujourd’hui en vigueur. Ils touchent 800 communes, s’appliquent à des milliers d’entreprises et impactent la vie d’environ 9 millions de personnes (habitants et travailleurs), rappelle l’association qui a mené l’enquête auprès de ses adhérents. Pour les 300 autres sites Seveso seuils haut, de simples règles d’urbanisme s’appliquent désormais aux collectivités.

Certes, les PPRT ont contribué à réduire les risques à la source, reconnaît Amaris, mais ils n’ont pas permis d’éviter le gigantesque incendie de Lubrizol et Normandie logistique qui a plongé l’agglomération rouennaise dans la stupeur le 26 septembre 2019. Pour le reste, la liste des « échecs patents » est longue. Les collectivités soulignent que la protection des riverains dans leurs logements était le « principal objectif » des PPRT. Elle est aujourd’hui le « principal raté », jugent-elles. Trente mille personnes sont toujours exposées à des risques industriels dans leurs habitations, selon les estimations de l’Amaris.

Cent quatre-vingt-neuf PPRT ont prescrit des travaux de mise en sécurité (pose de vitrage ne se fragmentant pas sous l’effet d’explosion, aménagement de locaux permettant le confinement…) pour près de 16 000 logements privés. A peine 25 % ont été réalisés. La faute à des aides insuffisantes, plafonnées à 20 000 euros ou 10 % de la valeur vénale du bien, pénalisant les propriétaires des habitations les plus modestes : « Les PPRT ont creusé les inégalités face aux risques. » Limitées à huit ans, les aides (dont 40 % de crédit d’impôt) vont s’éteindre progressivement à partir de 2024 et ne pourront pas bénéficier aux 75 % restant, regrette l’Amaris, qui déplore un « désengagement de l’Etat ».

« Zones rouges »

Dans les « zones rouges », où le danger est jugé potentiellement mortel, les PPRT prévoient deux mesures foncières : les expropriations et le délaissement (où le propriétaire a le choix entre demander le rachat de son bien ou rester en effectuant des travaux de sécurisation). La loi donne un délai de sept ans pour opter entre les deux. Trop court pour les collectivités. Sur 100 prescriptions, 81 logements ont été expropriés. En revanche, 45 % des habitants concernés par des mesures de délaissement (262 logements) vivent toujours en zone rouge, faute d’alternatives à un départ qu’ils refusent.

« Mal perçues, mal vécues », ces mesures « impopulaires » dont les collectivités reprochent à l’Etat de leur avoir abandonné la gestion administrative ont été à l’origine de situations de « contestation » et de « détresse ». Autour de la raffinerie de Feyzin (Rhône), où un lotissement entier a été rasé, une médiation sociale a été nécessaire en 2020. Elles ont aussi laissé « des quartiers en déshérence » avec des « béances » dans la recomposition du tissu urbain dans la « vallée de la chimie » au sud de Lyon ou dans la zone industrialo-portuaire de Dunkerque comme à Gourmay-sur-Aronde (Nord) où des maisons ont été détruites d’un côté de la route et maintenue de l’autre.

« Insuffisance des moyens »

Autre « angle mort » des PPRT, la protection des entreprises riveraines des sites Seveso. Seules 40 % des mesures foncières (expropriation ou délaissement) ont été réalisées. Faute de moyens d’accompagnement, de nombreuses entreprises et en particulier des petits commerces ont dû cesser leur activité, participant à l’« abandon du tissu économique local ». Le rapport de l’Amaris soulève également le problème des équipements publics (écoles, crèches, mairies, stades, aires d’accueil des gens du voyage…). 40 % des collectivités font part de prescriptions (fermeture d’équipement ou relocalisation) inapplicables ou très complexes à exécuter. Ainsi du stade Jean Bouin et de la piscine à Feyzin où aucune piste de relocalisation et de financement n’a été trouvée et où les usagers continuent à pratiquer des activités sportives sous les cheminées des sites Seveso.

« Ces différents échecs sont directement imputables à l’insuffisance des moyens et des outils mis à disposition des collectivités par l’Etat », estime Amaris. L’association formule une vingtaine de propositions dont l’élaboration d’une « stratégie nationale PPRT » pour les dix prochaines années déclinée en « feuilles de route » au niveau local, la création d’un fonds national pour la prévention des risques industriels alimenté par une taxe sur les sites Seveso ou encore d’intégrer les effets du changement climatique dans les études de danger.

Stéphane Mandard. Cet article est paru dans Le Monde (site web)

RISQUES INDUSTRIELS (1). CARACTERISTIQUES. RETOUR SUR L’INCENDIE DE L’USINE LUBRIZOL.

  • Mettre en place ou renforcer une démarche globale et transversale de gestion des risques de type ERM.
  • Créer ou renforcer une Fonction Risk Manager. 

A LIRE

📌Dans l’ouvrage  « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Chapitre 1 / Histoire récente des risques, de la gestion des risques, de la FRM / De 2019 à aujourd’hui / 4 exemples / Du risque incendie au risque éthique : l’incendie de l’usine Lubrizol ; p.79.

📌Sur le blog ou ci-dessous, l’article publié dans le Monde consacré à l’incendie de l’usine Lubrizol.

📌 dans notre 2ème contenu de novembre « Risques Industriels (2), l’ article de Stéphane Mandard Risques industriels : les collectivités dressent le bilan de vingt ans d’« échec » de plans de prévention pour protéger les populations.

Incendie de Rouen : « L’actualité témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques »

Caroline Aubry, enseignante en gestion du risque, décrit dans une tribune au « Monde » les facteurs qui ont placé cette discipline au cœur de la stratégie des entreprises.

Tribune.

L’actualité récente témoigne de l’élargissement de la nature et de l’ampleur des risques, qui fait aujourd’hui de sa gestion une variable stratégique de la réflexion des entreprises. Les cyber-attaques subies par Airbus ces derniers mois appartiennent à la catégorie des risques nouveaux ; le cyber-risque est d’ailleurs le premier cité par les entreprises dans le baromètre des risques de l’assureur Allianz.

L’incendie de l’usine Lubrizol, le jeudi 26 septembre, n’est pas qu’un risque « traditionnel » d’incendie ; il s’agit d’un risque éthique dans sa dimension de développement durable. La plainte déposée le 26 septembre par la Fédération Internationale pour les droits humains contre BNP Paribas et ses anciens dirigeants, pour complicité de torture, crimes contre l’humanité, génocide, blanchiment et recel au Soudan, est un risque éthique dans sa dimension de gouvernance : respect par l’entreprise des engagements pris, transparence et ouverture aux besoins de l’environnement dans laquelle elle opère, prise en compte des parties prenantes, les actionnaires et tous les groupes ou individus qui peuvent affecter ou être affectés par la réalisation de ses objectifs.

Les entreprises doivent faire face à des risques potentiels plus difficiles à cerner car ils sortent du champ de compétences des experts. Depuis trente ans, ces facteurs les ont conduites à mettre en place une démarche globale de gestion des risques, nommée « Enterprise-Risk-Management » (ERM) par les Anglo-Saxons ; ils ont contribué à la création d’une fonction dédiée à la gestion des risques.

Anxiété collective

L’élargissement du domaine de la gestion des risques s’est amorcé dans les années 1990 avec l’apparition de nouveaux risques issus des changements technologiques. Il s’est poursuivi avec la multiplication de qualificatifs venus en préciser la nature : éthique, environnemental, social, de gouvernance, de réputation, etc.

Est ensuite apparue l’idée d’une perception du risque différente selon les individus ou les niveaux dans l’entreprise. Cette perception est en effet fortement liée aux caractéristiques individuelles de l’acteur, sa personnalité, son histoire, ses préjugés, son exposition au risque…

L’élargissement du domaine de la gestion des risques s’est amorcé dans les années 1990 avec l’apparition de nouveaux risques issus des changements technologiques

Cette subjectivité intervient aussi dans la relation de l’entreprise avec les acteurs de la société civile. Par exemple, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001 a généré en France un état d’anxiété collective, accentué par la vigilance nouvelle des acteurs de la société civile qui ont pris conscience de ces vulnérabilités ; les populations habitant à proximité d’installations classées Seveso ont une perception accrue du risque.

Une approche exclusivement objective de l’incendie de l’usine Lubrizol ne donnerait qu’une vision partielle, voire erronée de la situation. Les entreprises doivent dorénavant impliquer les acteurs, intégrer les facteurs d’environnement susceptibles d’influencer cette perception (les médias, par exemple) et tenir compte des valeurs et des attentes grandissantes des parties prenantes. La communication devient essentielle, le risque de réputation, risque subjectif par excellence, devient le « cauchemar » des directions générales.

Réticence des compagnies d’assurance

Les entreprises sont amenées à gérer elles-mêmes ces nouveaux risques du fait de la réticence des compagnies d’assurance à les prendre en charge : comment continuer à croire qu’il n’y a pas un « trou énorme » entre la protection des assurances et ce dont les entreprises ont besoin pour couvrir, par exemple, le coût de cyber-attaques répétées, ou celui d’une catastrophe environnementale comme celle de l’usine Lubrizol ?

La référence « tous azimuts » à ce principe de précaution au contenu peu structurant contribue à l’installation de l’illusion du risque zéro

Les « affaires » participent également à cette extension du domaine du risque. Les affaires Maxwell (1991), Enron (2001), Vivendi (2002)… ont débouché sur l’exigence de conditions nouvelles de transparence des risques de la part des entreprises. Lubrizol, Volkswagen et le Dieselgate, Renault-Nissan et l’incarcération de Carlos Ghosn, Lactalis et le lait contaminé, pour ne citer que les affaires les plus médiatiques, renforcent cette exigence.

Enfin, depuis 2004, le régulateur, le législateur et les médias ont contribué à la diffusion de l’image d’un monde plus risqué et l’ont amplifiée. Prenons le principe de précaution, pilier de la « soft law » adoptée par les entreprises : la référence « tous azimuts » à ce principe au contenu peu structurant (car il n’offre aucun modèle d’action prédéfini) contribue à l’installation de l’illusion du risque zéro ; le seuil d’acceptabilité du risque par les parties prenantes diminue. De leur côté, les médias amplifient la notion de responsabilité du dirigeant en cas de négligence, et surtout les logiques de compensation.

Vendredi 18 octobre 2019 – 14:00

Cet article est paru dans Le Monde (site web)

RISQUE GEOPOLITIQUE (2). RISQUE GEOPOLITIQUE en forte hausse et RISQUE SUPPLY-CHAIN. La transversalité du risque.

✴️ Pour approfondir la démarche ERM et la FRM (naissance, activité, place dans l’organisation, compétences, rôle(s)) voir dans l’ouvrage  « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Ch.4 Méthodes, démarches et outils des Risk Managers, Ch.5 Place des Risk Managers dans l’organisation, Ch. 6 Compétences des Risk Managers.

✴️ Pour lire sur la transversalité du risque ; autres illustrations sur le blog en suivant les liens :

Réputation / Ethique / Géopolitique

Cyber Risque / Réputation. Opérationnel / Réputation

Les supply chain exposées à de nombreux risques

En 2022, plus d’une entreprise sur deux a subi plus de 10 crises majeures sur leur supply chain, selon le dernier baromètre publié par Kyu. De nombreux risques devraient continuer à venir perturber les chaines d’approvisionnement cette année. Certaines solutions existent pour tenter d’y faire face.

L’année 2022 fut compliquée pour les gestionnaires de supply chain. La guerre en Ukraine, les phénomènes climatiques extrêmes ou encore l’inflation et la récession sont venus fragiliser les supply chain. Si bien que, selon le 4ème baromètre des risques supply chain publié par Kyu en ce début d’année, 58% des entreprises ont subi plus de 10 crises majeures concernant leur supply chain l’année dernière.

Les secteurs les plus touchés par ces crises sont ceux de l’industrie automobile et aéronautique, qui ont peiné à se remettre de la crise Covid. Ce marasme s’explique notamment par les différentes pénuries auxquelles ces entreprises ont fait face, les risques industriels de plus en plus nombreux et des défauts qualité. Ce qui a entrainé chez ces sociétés une baisse des capacités, des pertes de revenus et l’insatisfaction générale de leurs clients.

2023 s’annonce aussi difficile

Malheureusement, l’année 2023 s’annonce tout aussi compliquée pour les supply chain. « Alors que les flux logistiques semblent se détendre car les stocks sont au plus haut, l’inflation menace de se muer en récession et les entreprises peinent à trouver les matières et la main d’oeuvre nécessaires pour répondre à la demande, entrainant des pénuries à répétition, » décrit l’étude.

Pour cette année à venir, le baromètre présente les 10 risques principaux qui vont menacer les supply chain. Tout en haut de ce classement arrive le manque de capacité de production, avec les pénuries de matières, de composants et de travailleurs« Ces pénuries sont le résultat à la fois de facteurs conjoncturels, comme le fait que les entreprises ont dû brutalement ralentir leur production pendant la pandémie et la relancer tout aussi brusquement par la suite, et structurels, comme les travailleurs ne souhaitant plus assumer des emplois précaires, pénibles et peu rémunérés, » commente Orsetta Causa, économiste à l’OCDE (l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques).

Le risque géopolitique en forte hausse

En seconde position, se trouve les risques liés à la hausse des coûts. La guerre en Ukraine a entrainé une crise énergétique, à cause notamment de la dépendance de l’Europe au gaz russe, ce qui a eu comme effet de renforcer l’inflation (+9,2% à fin décembre en zone euro dont +25,7% pour l’énergie, +6,7% en France selon Eurostat). Pour les entreprises les plus énergivores, cela s’est aussi traduit par un véritable choc de rentabilité. Cela a également eu pour conséquence de faire repartir à la hausse les défaillances d’entreprises en 2022, une tendance qui devrait se poursuivre en 2023 avec une hausse des défaillances de +19% anticipée par Allianz.

Parmi les autres risques, le cyber se classe en troisième position, juste devant le risque géopolitique (qui est d’ailleurs le seul risque à connaitre une criticité en forte hausse par rapport au précédent baromètre), le risque de crise logistique, de volatilité de la demande de rareté des sources et de crise climatique. Seul risque à avoir vu sa criticité baisser par rapport à la précédente édition du baromètre, le risque de pandémie est 9ème de ce classement, juste devant le risque de controverse RSE.

Evaluer de manière précise sa supply

Face à ces risques, quelles solutions pour les supply chain ? L’étude en présente un certain nombre. La première action à mener serait d’évaluer et de qualifier sa chaine d’approvisionnement afin de disposer de partenaires solides, avec une évaluation toute particulière sur les risques fournisseurs dans les achats (solution envisagée par 85%des répondants). « Cela consiste à mieux les évaluer, fournisseur par fournisseur, en mettant en oeuvre une approche analytique, systématique et exhaustive, intégrée à leur processus de décision d’attribution de marché et d’établissement de leurs stratégies d’achat. Toute la difficulté demeure néanmoins dans la capacité des entreprises à aller au-delà du rang 1 et àdisposer d’informations suffisantes sur les sources d’approvisionnement de commodités car nombre d’entre elles sont touchées par des pénuries liées à des rang 3 voire au-delà, » relate l’étude.

Concernant les autres solutions envisageables, le fait de déployer des outils plus réactifs et plus précis devrait être envisagé, avec notamment le suivi renforcé des KPI, que 76% des répondants souhaitent mettre en place. Diversifier sa chaine d’approvisionnement et la rendre plus responsablefait également partie des objectifs des gestionnaires de supply chain, qui sont respectivement 71%, 68% et 54% à vouloir augmenter le double sourcing, développer des sources locales et avoir un sourcing plus respectueux de l’environnement.
Enfin, le fait d’anticiper pour mieux se protéger des conséquences ressort également chez les répondants comme solution considérée. « Le Plan de Continuité d’Activité apparaît toujours comme l’outil privilégié pour limiter les impacts des pires scénarios de crise en identifiant les ressources clés concernées et en définissant les actions à conduire pour guider les opérations jusqu’à la reprise de l’activité, » détaille l’étude. 64% des répondants projettent de renforcer leurs PCA et 57% souhaitent élargir ces PCA à leur supply chain étendue.

Florian Langlois le 27 févr. 2023 

PARTAGE D’UN ARTICLE INTERESSANT. Responsabilité pénale des dirigeants : ça ne passe plus.

Article intéressant. Qui peut être élargi à de nombreuses lois et réglementations.

J’écrivais dans un article de recherche « La naissance de la fonction risk manager », revue Management & Avenir, n°55, juillet-août 2012 : « A l’origine de la création de la FRM, les lois et les réglementations, par leur contenu peu structurant – la LSF ne définit explicitement ni périmètre, ni référencement utilisable, ni démarche concrète de mise en oeuvre du rapport sur le contrôle interne, ni sanction en cas de manquement. Il faudra attendre 2006 et la publication de deux recommandations de l’AMF pour mieux cerner l’obligation faite aux entreprises – ont induit des logiques de sur-action et de sur-référence à des procédures. » Dans l’article « Principe de précaution » de l’Encyclopédia Universalis est écrit : « l’application du principe de précaution encadrée par des normes dont le contenu est déterminé après coup selon le contexte est à l’origine des mêmes dérives. »

Lire l’article :

Lire ou relire la rubrique Responsabilité pénale du dirigeant du BLOG :

https://gestiondesrisques.net/category/risques/responsabilite-penale-des-dirigeants/

RISQUE GEOPOLITIQUE (1). Risque potentiel. Probabilité élevée, impact supposé fort. Retour en force.

« Le risque est un travail d’évangélisation. » Cette phrase n’est pas de moi mais de Benoît Vraie. C’est sur cette citation qui m’amuse et correspond bien à mon état d’esprit que je démarre mon blog pour une nouvelle année universitaire. Celui-ci a effet pour objectif de partager des connaissances sur les thèmes du risque, de la gestion des risques, de la Fonction Risk Manager (FRM).

Les sujets que recouvre l’actualité de ces trois thèmes sont nombreux et divers.

Je commencerai l’année avec un panorama de risques dont le moins que l’on plus dire est qu’ils sont divers – comme une liste à la Prévert -. Vous pourrez mieux les connaître et mobiliser la grille d’identification qui m’est chère : les nommer / identifier leurs causes et conséquences / les qualifier – Nouveaux ? Potentiels ou avérés ? Subjectifs ? Amplifiés par le régulateur-législateur et/ou les médias ? Transversaux ? Autant d’éléments qui permettent de les identifier pour mieux les gérer. Pour approfondir cette grille de lecture, voir dans l’ouvrage  « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. »,  Ch1. Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager.

Le premier article traite du Risque Géopolitique ; il est l’occasion de revenir en préambule sur les différences entre risques avérés et risques potentiels et risque et incertitude.

Le deuxième montre comment le Risque Géopolitique est l’une des causes du Risque de Supply-chain, illustrant ainsi la notion de transversalité du risque nécessitant la mise en place d’une démarche de gestion des risques globale et transversale de type ERM et la création d’une FRM au rôle d’architecte de celle-ci dans l’organisation. Pour approfondir la démarche ERM et la FRM, voir dans l’ouvrage  « Risk management. Organisation et positionnement de la fonction Risk Manager. Méthodes de gestion des risques. », Ch.4 Méthodes, démarches et outils des Risk Managers, Ch.5 Place des Risk Managers dans l’organisation, Ch. 6 Compétences des Risk Managers.

Risque Géopolitique, quelle place dans les préoccupations des entreprises ?

Le Risque Géopolitique n’est pas nommé de cette façon dans les typologies de risques ou les baromètres. Il apparaît dans l’ancienne typologie de l’AMRAE dans la catégorie des Risques Stratégiques et Externes / sous-catégorie Pays et Macroéconomie / rubriques Politique, Guerre, Terrorisme, GAREAT.

Il est pris en compte dans les préoccupations des entreprises (Baromètre Allianz 2023 – 2 700 répondants / 94 pays / classements Monde et France / par secteur d’activités -) à travers les risques énergétiques et les risques économiques, avec le commentaire suivant : «  Il n’est pas surprenant avec la guerre en Ukraine que la Crise énergétique et lesÉvolutions macro-économiques (ex : inflation, programmes d’austérité) fassent leur entrée dans le top 5 des risques cette année (respectivement en 3e et 4e position). »

Pourquoi est-il devenu une variable stratégique de la réflexion organisationnelle des entreprises ?     

Dès 1921, Knight distingue le risque avéré (l’agent possède des informations concernant la probabilité de réalisation et les conséquences) du risque potentiel (l’agent ne peut définir la liste des conséquences possibles d’un évènement ou ne peut déterminer la probabilité de réalisation des résultats identifiés comme dans l’assurance avec la loi des grands nombres).

Les risques potentiels sont complexes à évaluer ; ils élargissent le champ d’investigation des entreprises.

En effet, contrairement aux risques avérés :

  • ils sortent du champ d’investigation des entreprises et du champ de compétences des experts qui n’ont ni la connaissance, ni l’expérience pour répondre à un avenir qu’ils ne connaissent pas ;
  • leur impact n’est pas encore évalué ; celui-ci est « à tiroirs » intervenant à tous les niveaux.

La vidéo sur ce sujet de Philippe Silberzahn, professeur de stratégie à l’emlyon Business School, revient très clairement sur cette distinction.

Quelle évaluation du risque géopolitique ?

Appréhender le retour en force du risque géopolitique

Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’année 2022 a été marquée par le grand retour du risque géopolitique sur le sol européen. Pour Coface, spécialiste mondial de l’assurance-crédit, ce conflit replace sur le devant de la scène une typologie de risque qui avait été oubliée.

Êtes-vous d’accord avec l’idée qu’auparavant, les dirigeants devaient gérer du risque, et que c’est la gestion de l’incertitude qui prédomine aujourd’hui ?

Toutes les grandes réalisations humaines ont impliqué des risques d’échec parfois systémiques. L’aviation, le nucléaire, la construction… On n’a de cesse d’essayer de maîtriser le risque car celui qui y parvient est celui qui crée le plus de valeur. Mais ce risque est fait de choses que l’on connaît et d’autres que l’on ignore. Dans le cas de celles que nous avons déjà connues par le passé, nous essayons d’éviter, en cas de répétition, d’être surpris de la même manière que la première fois.

Pour essayer de les maîtriser, nous mettons donc en place des processus, des contrôles, des plans de contingence… Ce qu’on appelle l’incertitude, ce sont des risques qu’on ignore parce qu’ils ne se sont pas encore matérialisés. Notez qu’on peut se demander s’ils sont vraiment nouveaux. La pandémie, le risque géopolitique, ce ne sont pas des nouveautés. Au Moyen-Âge, l’économie était déjà fortement impactée par les guerres et les maladies. Nous pensions cependant que grâce à la science, certains risques avaient disparus ou que nous allions pouvoir toucher les dividendes de la paix à long-terme.

Comment expliquer l’instabilité actuelle ?

Nous nous sommes probablement trompés en pensant que tous les pays allaient se ranger derrière le modèle de l’économie de marché associé à la démocratie. Aujourd’hui, le multilatéralisme est battu en brèche et nous assistons au grand retour du risque politique et à une montée en puissance du risque social. Prenons l’exemple des Etats-Unis : nous sommes passés d’une démocratie qui semblait stable à la prise d’assaut du capitole. La fréquence des crises nous rappelle à une forme de vulnérabilité liée à l’incapacité de les prévoir. Certains avaient anticipé le risque d’une pandémie avec un virus provenant d’une souche animale mais cela ne nous a pas beaucoup avancés, puisqu’on ne savait pas comment le maîtriser.

Quels sont les risques les mieux pris en compte par les entreprises et ceux qui, au contraire, ne le sont pas ?

Conquérir un marché international demande des investissements importants. Si la pérennité de ces investissements n’est pas garantie, il faut y réfléchir à deux fois. Cette équation est plutôt bien prise en compte par les entreprises, même si cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas se tromper ! Globalement nous avions peu anticipé le fait que le monde devienne multipolaire et que de nouvelles barrières réglementaires et juridiques se créent, entre les USA et la Chine par exemple. Il faut désormais reconnaître ce monde nouveau et les fractures qui s’y créent.

Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les entreprises ?

On ne sait jamais à quel moment va s’opérer la bascule entre stabilité et crise. Dans ce contexte, il est très difficile pour les entreprises de se projeter : elles ne peuvent plus se limiter à prévoir un seul plan parce qu’à tous les coups, celui-ci va être faux. Chez Coface, nous avions présenté un plan stratégique pour 4 années en février 2020 et 15 jours plus tard, toute la planète était confinée. L’autre spécificité, c’est qu’en temps de crise, tout repose sur la psychologie et la décision humaine qui est, par nature, peu rationnelle. Il ne faut pas être imprudent et faire des paris trop importants dans un sens ou dans un autre, parce qu’on a toutes les chances de se tromper. Pour ne pas être pris au dépourvu, les leaders doivent préparer des scenarii multiples, imaginer ce qui pourrait se passer et se demander comment réagir. Nous avons moins le droit de nous laisser surprendre.

Comment peut-on se préparer pour ne plus être surpris, justement ?

Je pose la vision d’un orchestre symphonique classique : le maestro connaît la partition par cœur. Chacun de ses musiciens a été formé dans la meilleure école et joue avec le meilleur instrument dans des conditions acoustiques parfaites. Dans la vraie vie, cela n’existe pas : il y a toujours quelqu’un qui tousse dans la salle, peut-être même le musicien ! Le quotidien est plus proche d’un exercice de jazz que d’un concert de musique classique : on essaye de créer en prenant en compte l’imprévu. L’entraînement permet d’avoir des routines, des réflexes, des points de repère et de ne pas se laisser désarçonner à la moindre difficulté.

Quels sont les outils sur lesquels les entreprises peuvent s’appuyer ?

Il faut avoir des outils de contrôle qui modélisent et encadrent les variations tout en nous permettant d’être agile : le Lean six sigma, la conformité, la digitalisation, le process management, la planification stratégique… Leur principal défaut est qu’ils nous projettent dans l’avenir en utilisant une vision du passé. C’est comme si, lorsque vous prenez votre voiture, vous ne regardiez que dans le rétroviseur. Ils sont indispensables mais pas suffisants !

Comment l’organisation peut-elle s’adapter ?

En période de crise, le modèle pyramidal fonctionne mal. Le leader est trop contraint dans sa pensée, trop lent dans la prise de décision. Prenons le cas de Coface. Nous sommes présents dans une centaine de pays. Quand le Covid est arrivé, les conditions de marché étaient très différentes d’un pays à l’autre : certaines économies souffraient, d’autres s’en sortaient très bien. Il n’était pas donc possible de prendre une décision unilatérale qui fonctionne pour tout le monde. La réponse a été de laisser de la marge au local pour s’adapter aux circonstances du terrain. L’improvisation constructive est plus utile que la centralisation rigide dans la prise de décision. Le leader doit prendre le risque de perdre le contrôle parce que c’est la meilleure façon de le regagner.

Peut-on se préparer à des risques qu’on ne connaît pas encore ?

Il est impossible de prévoir la prochaine crise. Ce qui est certain, c’est que ceux qui s’y seront préparé s’en sortiront mieux que les autres. Pour cela, il faut faire des exercices, travailler la souplesse, l’agilité de l’entreprise, être capable de tester et d’essayer. De ce point de vue, la culture d’entreprise est particulièrement importante car elle détermine les actions à venir. En cas de difficulté, tout le monde connaît et partage les grands principes à respecter.

Xavier Durand, Directeur général, Coface. Publié le 23 mai 2023. Les Echos.

PAUSE ESTIVALE

Pour mieux se retrouver au début du mois de septembre.

L’actualité du risque, du risk management et du Risk Manager est toujours aussi dense. Les défis à relever sont nombreux, porteurs d’opportunités et de menaces. J’ai essayé durant cette année universitaire 2022-2023 de vous donner des éléments pour les contextualiser, les analyser et agir.

Découvrez-les ou relisez-les sur le blog via les mots-clés ou les archives.

Découvrez et/ou partagez une lecture « transversale » qui retrace l’histoire du risque, de la gestion des risques, des premières fonctions risk-manager / qui identifie l’activité, la place dans l’organisation et les compétences des Risk-Manager / qui présente la démarche de gestion des risques, ses outils et ses méthodes :

« Risk Management. Organisation et positionnement de la Fonction Risk Manager. Méthodes et Gestion des risques. » Editions Gereso. 293 pages, 18,99 à 27 euros

https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html

Une lecture conseillée par la presse conseillée par la Presse (Le Monde Informatique, La Tribune de l’Assurance par exemple) :

Voir Retour Presse
22 Juin 2022
Journaliste : Bertrand Lemaire
http://www.lemondeinformatique.fr p. 1/2


« Guide sur la fonction de gestionnaire de risques
Caroline Aubry et Nicolas Dufour viennent de publier chez Gereso « Risk Management – Organisation et positionnement de
la Fonction Risk Manager – Méthodes de gestion des risques ».

L’ ouvrage « Risk Management » vient de paraître chez Gereso.
Les DSI ont tendance à ne voir que les risques de type cyber-menaces, risques qui ne méritent plus tellement leur nom tant leur certitude est aujourd’hui absolue. Or les risques pouvant affecter un SI sont bien plus vastes : risques fournisseurs, risques physiques (incendies, inondations..), etc. La gestion des risques doit donc impérativement faire partie de leur
périmètre, en partenariat avec le spécialiste de leur entreprise, le gestionnaire de risques. Pour comprendre les ressorts de cette gestion des risques, la lecture « Risk Management – Organisation et positionnement de la Fonction Risk Manager – Méthodes de gestion des risques » qui vient de paraître chez Gereso, sous les signatures de Caroline Aubry et Nicolas Dufour, pourra leur être très utile. Cet ouvrage leur permettra en effet à la fois d’apprendre les méthodes de gestion des risques mais aussi de comprendre le travail du gestionnaire de risques et ainsi de savoir comment travailler avec lui.

L’ouvrage débute par les fondamentaux sur la gestion des risques et le travail du gestionnaire de risques. Un chapitre est ensuite consacré aux différentes classes de risques et ce qu’implique cette classification en matière de réponses. La méthode de gestion des risques occupe bien sûr un important chapitre ainsi que la bonne insertion dans les process et l’organigramme du gestionnaire de risques. Pour terminer, un chapitre se consacre aux compétences nécessaires pour bien gérer des risques.
Le texte est clair, sans jargon inutile, et est illustré de tableaux et de schémas autant que nécessaire dans un but pédagogique.

A propos de l’ouvrage Risk Management – Organisation et positionnement de la Fonction Risk Manager – Méthodes de gestion des risques, par Caroline Aubry et Nicolas Dufour (Editions Gereso, 293 pages, 18,99 à 27 euros) »

UN NOUVEAU RELAIS POUR LES CONTENUS DU BLOG : Journal du Management juridique d’entreprises

Merci au Journal du Management juridique d’entreprises de relayer les contenus de mon blog (https://gestiondesrisques.net/) quand ceux-ci sont de « nature » juridique.

Le dernier numéro du Journal du Management juridique d’entreprises est en ligne : https://www.calameo.com/read/0000001784e2e2611bd26

🎁Retrouvez les trois contenus relatifs à la loi française sur le devoir de vigilance à l’occasion de son 6ème anniversaire en pages 43 et suivantes :

️un rappel des grandes lignes de la loi et de la notion de régulateur-législateur, amplificateur du risque

️son bilan mitigé

️une illustration de ses insuffisances

RISQUE CLIMATIQUE : OU EN ETES-VOUS ? 🙈 ? 🙉 ? Plus ? (2) LA PRISE EN CHARGE DU RISQUE CLIMATIQUE PAR LES ASSURANCES ET LA QUESTION DE SON ASSURABILITE

Je vous ai proposé il y a deux semaines une contextualisation du risque climatique qui conduit à s’interroger sur la nouvelle logique de transfert du risque climatique : la réticence des compagnies d’assurances à assurer le risque climatique rend en effet nécessaire la mise en place d’une démarche de gestion des risques par les entreprises.

📌 Plus la rubrique lire et relire sur ce sujet :

Dans l’ouvrage  « RISK MANAGEMENT. ORGANISATION ET POSITIONNEMENT DE LA FONCTION RISK MANAGER. METHODES DE GESTION DES RISQUES. »,

CH I Définition des notions mobilisées et contextualisation de la Fonction Risk Manager, Amplificateur de risque 1 : le régulateur, législateur, p. 53-65.

https://librairie.gereso.com/livre-entreprise/risk-management-fris2.html

Sur le blog

Le risque climatique : impact sur les institutions financières et la gestion des risques

A la poursuite du risque climatique…RSE et maîtrise des risques

La nécessaire gestion du risque climatique et ses interactions avec la RSE

Le risque, variable stratégique de la réflexion des entreprises sous l’effet de cinq facteurs : illustration sur le risque climatique.

Risque climatique et assurances.

Le périmètre d’activité des Risk Managers ne cesse de s’élargir.

Je vous propose :

☂ Aujourd’hui : des éléments de réflexion, à partir de trois articles, sur la prise en charge du risque climatique par les assurances et la question de son assurabilité (6 juillet 2023). Les deux premiers présentent la mission sur l’assurabilité des risques climatiques lancée par le gouvernement : Pourquoi faire ? Qui y participent ? Quels attendus ? Le troisième, plus analytique, analyse la notion d’assurabilité du risque climatique.

👉 Dans deux semaines, un article et un rapport à lire pour lui préférer ou a minima lui adjoindre un changement de paradigme et la mise en œuvre orchestrée par un Risk Manager corporate d’une démarche de gestion du risque climatique (21 juillet 2023).

Bruno Le Maire et Christophe Béchu lancent une mission sur l’assurabilité des risques climatiques

Bruno Le Maire et Christophe Béchu lancent une mission sur l’assurabilité des risques climatiques, chargée de faire des propositions pour garantir la soutenabilité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et renforcer le rôle du système assurantiel dans la prévention, l’atténuation et l’adaptation face au dérèglement climatique.

Bruno le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, annoncent le lancement d’une mission chargée d’élaborer un état des lieux et des recommandations sur l’évolution du système assurantiel français face aux enjeux posés par le dérèglement climatique. Cette mission s’inscrit dans le cadre des travaux de planification écologique conduits sous l’autorité de la Première ministre.

L’augmentation de l’intensité et de la fréquence des évènements climatiques en France métropolitaine et dans les Outre-mer se traduit par une hausse importante et durable des coûts d’indemnisation des pertes matérielles, agricoles et d’exploitation, lesquels pourraient représenter 70 milliards d’euros de coûts additionnels au cours des trois prochaines décennies.

Cette dynamique de coûts implique de réfléchir aux efforts de prévention additionnels à réaliser et aux moyens de garantir à l’avenir l’assurabilité des particuliers, entreprises, collectivités territoriales et des écosystèmes dans les territoires fortement exposés aux risques climatiques.

Dans ce contexte, les ministres ont confié une mission visant à élaborer des recommandations sur les  enjeux et évolutions du système assurantiel français face aux risques climatiques à trois personnalités reconnues :

  • Thierry Langreney, président de l’association environnementale Ateliers du futur, est l’ancien directeur général adjoint de Crédit agricole Assurances et directeur général de sa filiale d’assurances de dommages Pacifica ;   
  • Gonéri Le Cozannet, ingénieur et titulaire d’un doctorat en géographie, travaille au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) en tant qu’expert spécialisé sur les risques côtiers et le changement climatique. Il a contribué au 6ème rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité au changement climatique en Europe et en Méditerranée ;
  • Myriam Mérad, directrice de recherche au CNRS rattachée au laboratoire d’analyse et de modélisation de systèmes d’aide à la décision de l’Université Paris Dauphine. Experte des enjeux de gestion sociétale des risques majeurs, elle préside notamment le conseil scientifique de l’association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques.

Les travaux de cette mission porteront en particulier sur trois axes :

  1. Les moyens permettant d’assurer la soutenabilité du régime français d’indemnisation des catastrophes naturelles, qui est un outil clé de résilience ;
  2. Le renforcement du rôle du système assurantiel dans le financement de la prévention et de l’adaptation face au dérèglement climatique, et une amélioration de l’articulation avec les interventions publiques existantes en la matière ;
  3. L’analyse de la contribution du cadre prudentiel et de la politique de souscription des assureurs à l’atténuation du changement climatique, et les recommandations permettant d’en accroître la portée.

En lien et avec l’appui de la direction générale du Trésor et de la Caisse centrale de réassurance, cette mission analysera la pertinence de nos outils actuels d’indemnisation et de prévention des risques climatiques, et le rôle du système assurantiel dans le contexte d’adaptation au changement climatique des territoires de France métropolitaine et d’outre-mer. La mission s’appuiera aussi sur l’expertise des services et opérateurs du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, notamment l’observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC), la direction générale de la prévention des risques (DGPR), le BRGM et Météo France.

La mission formulera ses recommandations aux ministres d’ici décembre 2023.

Une concertation large des acteurs concernés – assureurs, réassureurs, organismes de recherche, élus et représentants de la société civile – sera menée dans le cadre de cette mission.

A l’occasion d’un déplacement en Guadeloupe et en Martinique au cours duquel Bruno Le Maire a évoqué les enjeux d’assurabilité dans les territoires ultra-marins face au dérèglement climatique, le ministre a déclaré que « les évènements climatiques extrêmes – tempêtes, inondations, cyclones, sécheresses – se multiplient et augmentent en intensité. Ces évènements posent dès aujourd’hui la question de l’assurabilité de nombreux territoires, en Outre-mer comme en métropole. C’est pourquoi j’ai demandé à trois experts de l’assurance et de l’adaptation au changement climatique de réaliser un état des lieux actualisé et de faire des recommandations pour renforcer, en lien avec le système assurantiel, nos moyens d’action et de prévention face à ces risques ».

Selon Christophe Béchu : « La trajectoire d’adaptation de notre pays au changement climatique que j’ai présenté le 23 mai dernier, implique de déployer dès aujourd’hui les politiques publiques qui permettront de mieux prévenir les risques environnementaux. Cette mission contribuera à la réflexion engagée par le gouvernement sur la stratégie d’adaptation de la France, en précisant le rôle indispensable des acteurs du système assurantiel, tant en termes d’indemnisation que de prévention des risques climatiques ».  

Ecologie.gouv.fr. Vendredi 26 mai 2023

Le gouvernement lance une mission sur l’assurabilité des risques climatiques 

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, et Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, ont annoncé vendredi le lancement d’une mission chargée d’élaborer un état des lieux et des recommandations sur l’évolution du régime d’assurance des catastrophes naturelles.

Sécheresse, grêle, ouragans… Face à la multiplication des événements climatiques, le gouvernement veut revoir le régime d’assurance des catastrophes naturelles, le fameux régime « Cat Nat ».

Bruno le Maire, ministre de l’Economie, et Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, ont annoncé vendredi le lancement d’une mission chargée d’élaborer un état des lieux et des recommandations sur l’évolution du système assurantiel français face aux enjeux posés par le dérèglement climatique.

« Les évènements climatiques extrêmes – tempêtes, inondations, cyclones, sécheresses – se multiplient et augmentent en intensité, a déclaré Bruno Le Maire. Ces évènements posent dès aujourd’hui la question de l’assurabilité de nombreux territoires, en Outre-mer comme en métropole ».

« La trajectoire d’adaptation de notre pays au changement climatique […] implique de déployer dès aujourd’hui les politiques publiques qui permettront de mieux prévenir les risques environnementaux », a ajouté Christophe Béchu.

Personnalités reconnues

Cette mission sera confiée à trois personnalités reconnues : Thierry Langreney, président de l’association environnementale Ateliers du futur, et ancien directeur général adjoint de Crédit agricole Assurances, Gonéri Le Cozannet, expert spécialisé sur les risques côtiers et le changement climatique au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), et Myriam Mérad, directrice de recherche au CNRS rattachée au laboratoire d’analyse et de modélisation de systèmes d’aide à la décision de l’Université Paris Dauphine.

Ces trois personnalités vont mener une large concertation des acteurs concernés : assureurs, réassureurs, organismes de recherche, élus et représentants de la société civile.

La mission formulera ses recommandations aux ministres d’ici décembre 2023. Celles-ci porteront sur trois axes : les moyens permettant d’assurer la soutenabilité du régime français, le renforcement du rôle du système assurantiel, la politique de souscription des assureurs face au changement climatique.

Un régime déficitaire

Avec son régime « Cat Nat », basé sur l’assurance privée et la réassurance publique de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), la France dispose déjà d’un mécanisme efficace. Mais le régime est déficitaire depuis 2015.

Par ailleurs, l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des évènements climatiques se traduit par une hausse importante et durable des coûts d’indemnisation des pertes, qui pourraient représenter 70 milliards d’euros de coûts additionnels au cours des trois prochaines décennies, selon les deux ministres.

Proposition de loi

Face au risque de sécheresse, qui concerne 10,4 millions de maisons individuelles en métropole, le gouvernement a adopté cette année une ordonnance qui étend le nombre de communes bénéficiant de l’indemnisation de la sécheresse. Un décret doit encore être publié.

Mais, alors que ce texte se fait attendre, l’opposition veut aller plus loin. Les députés Verts ont déposé une proposition de loi pour élargir l’indemnisation des maisons fissurées, quitte à augmenter la surprime payée par les assurés.

Par Thibaut Madelin. 26 mai 2023. Les Echos

REFLEXION SUR UN « MONDE PAS ASSURABLE »

On prête à un ancien patron d’Axa la maxime « un monde à 4°C n’est pas assurable ». Qu’en penser à l’heure où le gouvernement se penche sur la question ?

Formellement, une assurance est un contrat par lequel une entité (l’assureur) garantit à un bénéficiaire (l’assuré) le paiement d’une certaine somme en cas de matérialisation d’un risque, à la condition que l’assuré lui ait payé une prime pour obtenir cette garantie.

Dans un monde réchauffé de 4°C, il est possible qu’il reste des assurances. Par contre il en restera moins, voire beaucoup beaucoup moins, qu’aujourd’hui. Pourquoi ?

Si l’on « rétropédale », pour qu’un système d’assurance pérenne existe il faut que, « en moyenne », les primes payées chaque année soient supérieures aux dommages assurés (sinon le système assurantiel finit par faire faillite). Il faut donc évaluer le montant des dommages possibles à l’avenir, et pour cela les assureurs utilisent actuellement des séries sur les dommages passés, avec une petite marge de sécurité « pour imprévu ». Dans un monde stable l’avenir ressemble au passé, et cette méthode fonctionne bien.

Mais dans un monde qui se réchauffe rapidement, les conditions climatiques vont devenir de plus en plus volatiles et « hors normes ». Cela signifie que, de plus en plus souvent, les séries passées ne permettront pas d’anticiper ce qui va vraiment se passer.

Dans ce contexte, l’assureur – et son réassureur, qui est « l’assureur des assureurs » – va prendre de plus en plus de tôles, et aura alors le choix entre monter tellement ses prix (pour se couvrir contre des écarts bien plus importants que par le passé) qu’il risque de ne plus avoir de clients, ou alors ne plus traiter le risque et « sortir du marché ».

C’est cette deuxième éventualité qui peut s’interpréter comme un monde « pas assurable ». Evidemment, pendant un temps peut exister une troisième voie : la prise en charge du surplus de risque par l’Etat. C’est ce qui se passe en France avec le régime des catastrophes naturelles. Mais, à nouveau, si ces dernières deviennent fréquentes et massives, même l’Etat ne pourra voler au secours de tout le monde.

Ajoutons à cela qu’un monde à 4°C sera guerrier et totalitaire, et que ce contexte est rarement favorable à des assurances généralisées !

Il y a une deuxième manière d’interpréter ce « pas assurable » : la remise en état physique en cas de dommages aura de moins en moins de sens. Aujourd’hui, avec l’argent de l’assurance on peut faire des travaux racheter un bien qui permettent de se retrouver dans une situation presque identique à avant le sinistre.

Mais avec des moyens énergétiques en décrue (empêchant de reconstruire ou refabriquer facilement), et des actifs naturels non remplaçables (une forêt qui brûle ou une espèce détruite), la remise dans l’état antérieur aura de moins en moins de sens.

C’est une autre manière de comprendre cette maxime : l’assurance permettra juste de mieux répartir la perte collective, non de supprimer cette dernière.

Post LinkedIn de Jean-Marc Jancovici