Pourquoi le risque devient-t-il une variable centrale de la réflexion organisationnelle ?
Il le devient sous l’effet de cinq facteurs.
L’un de ces facteurs est l’actualité du risque et les affaires.
« Les scandales en série (Maxwell, 1991 ; Enron, 2001 ; Vivendi, 2002 ; Nike, 1990-2000) posent l’exigence de conditions nouvelles d’auditabilité du risque et de transparence. L’objectif est d’accroître la transparence et la fiabilité de l’information comptable et financière des entreprises. » En p.10 de l’ouvrage « La Fonction Risk Manager. Organisation, Méthodes et Positionnement », nous présentons de manière détaillée l’affaire Enron (2001).
https://www.la-librairie-rh.com/livre-entreprise/la-fonction-risk-manager-fris.html
Les réglementations qui ont suivi ces affaires (Turnbull Report…loi Sarbanes Oxley…) ont posé l’exigence de nouvelles conditions d’auditabilité du risque et de transparence.
Il y en a eu beaucoup d’autres affaires depuis…Wirecard est clairement l’un d’elles.
Le premier article ci-dessous présente les détails de ce que l’on peut appeler l’affaire Wirecard.
Le second présente les similitudes entre les affaires Enron et Wirecard.
Le régulateur et le cabinet d’audit au coeur de la tempête Wirecard
Comment une entreprise cotée en Bourse, valorisée à plus de 20 milliards d’euros, a-t-elle pu s’écrouler en deux semaines? Après l’arrestation de son patron, le scandale Wirecard place le gendarme financier allemand et le cabinet d’audit EY sur le banc des accusés.
Au lendemain de la demande de mise en liquidation de la fintech Wirecard, les interrogations pullulent quant à ce qui est déjà considéré comme un « scandale sans équivalent dans le monde de la finance », selon les termes du gouvernement allemand. Après avoir reporté la publication de ses résultats à quatre reprises, Wirecard a été contrainte d’admettre que quasiment deux milliards d’euros avaient tout simplement disparu, voire jamais existés. On soupçonne son désormais ex-patron, Markus Braun, d’avoir réalisé de fausses transactions avec des tiers afin de gonfler le bilan de l’entreprise dans le but de la rendre plus attractive pour les investisseurs.
« Comment une fraude aussi audacieuse n’est pas devenue apparente Wirecard est non seulement une société cotée en Bourse à Francfort, mais elle fait de plus partie du Dax, l’indice boursier allemand de référence et la vitrine de l’économie germanique. « Comment une fraude aussi audacieuse n’est pas devenue apparente plus tôt, devra faire l’objet d’une enquête », a estimé jeudi Olav Gutting, chef de groupe CDU/CSU au Bundestag. »La BaFin (l’autorité fédérale allemande de supervision financière, NDLR) devra également répondre à des questions. »
La BaFin ne pourra échapper à une sérieuse remise en question de ses méthodes de travail. Dans une lettre envoyée jeudi soir à Steven Maijoor, le président de l’Autorité européenne de supervision des marchés financiers (ESMA), la Commission européenne demande qu’une « analyse préliminaire » soit conclue « au plus tard le 15 juillet » quant au rôle de la BaFin dans cette débâcle.
Selon les résultats de cette enquête préliminaire, il pourrait y avoir une investigation complète conduisant à la remise d’un rapport par l’ESMA. Ce rapport énumérerait les lacunes de la supervision et donnerait des instructions au gendarme allemand de la finance pour introduire des réformes dans ses méthodes de travail.
Signaux d’alarme ignorés
Si le régulateur doit affronter le courroux du monde politique, c’est parce qu’il a été informé à plusieurs reprises d’irrégularités dans les comptes de Wirecard et de pratiques douteuses dans son chef. En 2015, déjà, le Financial Times (FT) publie une enquête intitulée « House of Wirecard » dans laquelle le quotidien suggère qu’il existe un trou de 250 millions d’euros dans la comptabilité de la fintech.
Un an plus tard, plusieurs vendeurs à découvert publient une enquête sous le pseudonyme de Zatarra dans laquelle ils accusent Wirecard de procéder à du blanchiment d’argent pour le compte de sites de poker américains. Informée des faits, la BaFin ouvre une enquête pour découvrir qui se cache derrière Zatarra, estimant que ses auteurs tentent de manipuler le marché.
En janvier 2019, le Financial Times reprend ses investigations sur la fintech. Il découvre que son responsable pour la région Asie-Pacifique a fait usage de faux, blanchi de l’argent et falsifié des comptes. Quand la police de Singapour, où est basé le QG asiatique de Wirecard, perquisitionne les bureaux de l’entreprise, la BaFin réagit en empêchant les ventes à découvert sur l’action Wirecard, soulignant « son importance pour l’économie » et ouvre une enquête contre le FT, qu’elle soupçonne également de manipulation de marché.
Mea culpa
En réponse à une question parlementaire, le ministre allemand des Finances Olaf Scholz a indiqué que la BaFin avait mis plus d’un an pour se pencher sur les manipulations de marché dont était soupçonné Wirecard après le signalement d’un donneur d’alertes.
Le régulateur avait donc été avisé des faits, mais a préféré soit fermer les yeux, soit attaquer ceux qui avaient eu l’outrecuidance de dénoncer les actes frauduleux. Face à un tel constat, plusieurs députés ont demandé la démission du patron de la BaFin, Felix Hufeld.
Après quelques tergiversations, celui-ci a publiquement présenté ses excuses lundi. Il estime que la BaFin fait partie des institutions responsables de ce « désastre complet », en ayant failli à son rôle de supervision. Il s’est engagé à régler les manquements apparus dans le fonctionnement de l’autorité, mais a également tenté de faire porter le chapeau à d’autres, précisant que la direction de Wirecard ainsi que « plusieurs commissaires aux comptes » ont failli dans leurs missions.
Audit défaillant
L’attaque se dirige plus spécifiquement sur EY, l’un des quatre principaux bureaux d’audit et de conseil dans le monde. C’est en effet l’ancienne Ernst & Young qui auditait les comptes de la fintech allemande depuis 2011 et c’est elle qui a refusé ce mois-ci de les valider.
« Une société cotée en Bourse doit en principe d’abord faire ses comptes en interne, ceux-ci sont ensuite approuvés par le conseil d’administration, avant de faire l’objet de l’analyse d’un réviseur. Ces comptes sont alors transmis avec le rapport du réviseur à l’assemblée générale, qui peut poser des questions avant de les approuver ou de les rejeter », explique Eric Steghers, directeur général de l’Institut des experts-comptables et des conseils fiscaux.
Le rôle du réviseur est ainsi de vérifier les comptes, pas de détecter les fraudes. « Les comptes doivent correspondre à une situation, c’est cela que regarde le réviseur. »
EY a eu le nez plongé dans le bilan de Wirecard pendant neuf ans. Le fait que le géant de l’audit dénonce aujourd’hui une fraude massive dans le chef de son client peut ressembler à une fuite en avant. « L’auditeur a failli, pas parce qu’il n’a pas découvert la fraude, mais parce qu’il est totalement passé à côté de l’essentiel dans les comptes », estime un ancien auditeur qui a passé plus de dix ans dans le secteur.
Image salie
« Plusieurs cas de figure peuvent se présenter, le plus grave étant une collusion entre le cabinet et l’entreprise« , pointe-t-il. Il se pourrait également que le commissaire aux comptes n’ait pas réalisé correctement sa diligence, ou qu’il ait réalisé son travail en toute bonne foi, mais que son client ait réussi à particulièrement bien maquiller sa fraude.
Ce vendredi, le FT révélait que EY n’avait plus demandé d’information à la banque de référence de Wirecard à Singapour depuis trois ans. L’établissement était pourtant supposé conserver un milliard de dollars de liquidités pour le compte de la fintech. Cette procédure de routine aurait permis de déceler la fraude très rapidement.
EY voit son image une nouvelle fois éreintée. Le cabinet, qui déclare poursuivre son travail sans faire de commentaire, traîne déjà quelques casseroles derrière lui. Le régulateur britannique, le Financial Reporting Council (FRC), enquête sur lui dans le cadre de l’affaire NMC Health, un groupe hospitalier parvenu à dissimuler les deux tiers de sa dette et par rapport au dossier de Thomas Cook, le voyagiste tombé en faillite l’année passée. EY est suspecté d’avoir manqué à sa mission dans les deux cas.
Il est encore trop tôt pour évaluer la puissance de l’onde de choc du scandale Wirecard, mais il semble certain que, tant les fintechs, que les régulateurs et les cabinets d’audit ne travailleront désormais plus de la même manière…
OLIVIER SAMOIS
26 juin 2020 20:37
Enron. Le scandale, il y a 20 ans, était un parfait exemple de la matérialisation d’un énorme risque opérationnel (pour Enron, classé par Fortune le magazine « l’entreprise la plus innovante d’Amérique » entre 1996 et 2000) et du risque de réputation (pour leurs auditeurs, Arthur Andersen & Co., alors l’un des 5 grands cabinets d’experts-comptables), conduisant à l’effondrement des deux sociétés.
S’il est trop tôt pour connaître l’issue exacte de ce qu’on a appelé « l’Enron allemand » Wirecard impliquant, cet article revient sur les premiers indicateurs présentant des similitudes entre les deux scandales.
Wirecard, Enron et panneaux d’avertissement sur deux décennies.
L’auteur George Santayana a écrit: «Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter.» Et Mark Twain a écrit: « L’histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent ».
Pourrions-nous former un couplet d’Enron pour marquer le début du millénaire et Wirecard pour marquer la fin des années 2010?
Dans l’état actuel des choses, Wirecard s’annonce comme l’une des plus grandes fraudes financières depuis des années, établissant au moins quelques comparaisons avec Enron des décennies passées. Ce sont des industries différentes, bien sûr – Enron a fait sa maison (et sa tombe) dans l’énergie, et Wirecard est un processeur de paiements. Mais malgré les verticales disparates, certains des signes avant-coureurs font écho.
Prix des actions de la fusée? Sûr. Il y a dix ans, les actions Wirecard se négociaient à un faible taux à un chiffre et atteignaient 200 euros en 2018. Les actions d’Enron ont culminé à environ 90 $ à l’été 2000, après avoir commencé l’année à environ 40 $.
L’augmentation rapide des cours des actions laisse présager de l’optimisme que l’horizon (et les bénéfices) restent clairs pour les entreprises.
Les deux entreprises ont promis de transformer leurs industries. Wirecard, axé sur les paiements en ligne, a créé ces dernières années Boon, un système de paiement par application mobile lié à l’Europe, et a proposé WeChat Pay aux marchands européens aussi récemment que cette année. Enron a mis le doigt sur tout, du gaz naturel aux réseaux Internet.
La sonnette d’alarme avait sonné pour les deux entreprises avant que les choses ne se déroulent. Pour Wirecard, les racines d’un examen plus approfondi de ce qui se passait dans les coulisses peuvent être retracées dans un article du Financial Times (FT) du début de 2019 qui disait que la société avait falsifié des documents liés aux activités asiatiques de Wirecard dans le but d’induire les régulateurs en erreur.
Une couverture plus tardive de l’année a indiqué que les résultats des filiales avaient été gonflés. Le New York Times a noté le 26 juin que les services de recherche sur les actions ciblant les vendeurs à découvert (qui parient que les prix vont baisser) signalaient que Wirecard était un «château de cartes».
Puis le ralentissement rapide – et l’insolvabilité. Enron a déposé son bilan en 2001 après que des irrégularités comptables ont fait surface; une grande partie des activités commerciales de la société – comptabilisées en tant que revenus et bénéfices – avait été réalisée par le biais d’entités ad hoc (où elle détenait des participations). Wirecard, selon FT en février 2019, s’était engagé dans un «round trip». Dans le cadre de cette activité, selon le journal, l’argent quitterait la banque de Wirecard détenue en Allemagne, «montrerait son visage au bilan d’une filiale dormante à Hong Kong, partirait pour s’asseoir momentanément dans les livres d’un« client »externe», puis voyagerait retour aux opérations de Wirecard en Inde pour être comptabilisé en tant que revenu.
Plus récemment, Wirecard a déclaré qu’environ 2,1 milliards de dollars de soldes de compte qui ne peuvent pas être retracés « n’existent pas ».
L’histoire a encore des jambes, bien sûr, car ces dernières semaines, la banque centrale des Philippines a déclaré qu’il n’y avait aucun signe que les 2,1 milliards de dollars avaient été déposés en premier lieu. Les banques citées – BDO Unibank Inc. et BPI – avaient été utilisées pour « induire en erreur » les enquêteurs, selon la banque centrale.
Ailleurs, comme l’a noté le New York Times, le fournisseur de recherche indépendant The Analyst, basé à Londres (et où le partenaire fondateur Mark Hiley a qualifié Wirecard de « château de cartes ») a soulevé des questions sur les acquisitions Wirecard d’acquéreurs marchands et sur la performance financière de ces acquisitions.
« Lorsque vous avez examiné les documents financiers des entreprises locales, vous avez pu constater qu’il s’agissait de très petites entreprises, avec des revenus très faibles et une rentabilité limitée », a déclaré Hiley, cité dans le Times. « Nous étions inquiets: pourquoi payaient-ils autant d’argent pour ces petites entreprises à peine rentables? »
Et maintenant, Wirecard a déposé un dossier d’insolvabilité en partie en raison du «surendettement», les prêts d’une valeur cumulée de 1,3 milliard d’euros (1,46 milliard de dollars) venant à échéance le 1er juillet.
À certains égards, au moins dans cette histoire de deux montées et descentes spectaculaires s’étalant sur 2000 et 2020, l’histoire ne s’est peut-être pas répétée, mais elle a certainement des échos familiers.
Même s’ils ne riment pas.